Archive for décembre 2011

décembre 31, 2011

Robert Morris, Card File (détail : fiches “Mistakes” et Signature”), Tiroir de Kardex métallique, bois, 44 fiches, 68,6 x 26,7 cm, 1962, via Requête

circulaire

décembre 31, 2011

Un signe renvoie à un autre signe dans lequel il passe, et qui de signe en signe, le reconduit pour passer dans d’autres encore. « Quitte à faire retour circulairement… » Les signes ne font pas seulement réseau infini, le réseau des signes est infiniment circulaire. L’énoncé survit à son objet, le nom survit à son prossesseur. Soit passant dans d’autres signes, soit mis en réserve un certain temps, le signe survit à son état de choses comme à son signifié, il bondit à la façon d’une bête ou d’un mort pour reprendre sa place dans la chaîne et investir un nouvel état, un nouveau signifié d’où il s’extrait encore*. Impression d’éternel retour. Il y a tout un régime d’énoncés flottants, baladeurs, de noms suspendus, de signes qui guettent, attendant pour revenir d’être poussés en avant par la chaîne. Le signifiant comme redondance avec soi du signe déterritorialisé, monde mortuaire et de terreur.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, p. 142.

* CF. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, pp. 278 sq. (analyse des deux cas).

A sign refers to another sign, into which it passes and which carries it into still other signs. “To the point that it returns in a circular fashion …” Not only do signs form an infinite network, but the network of signs is infinitely circular. The statement survives its object, the name survives its owner. Whether it passes into other signs or is kept in reserve for a time, the sign survives both its state of things and its signified; it leaps like an animal or a dead person to regain its place in the chain and invest a new state, a new signified, from which it will in turn extricate itself.** A hint of the eternal return. There is a whole regime of roving, floating statements, suspended names, signs lying in wait to return and be propelled by the chain. The signifier as the self-redundancy of the deterri-torialized sign, a funereal world of terror.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, p. 134 (version PDF).

** See Levi-Strauss, The Savage Mind (Chicago: University of Chicago Press, 1966), pp. 209ff. (an analysis of the two cases).

décembre 31, 2011

Robert Morris, Card File, Tiroir de fichier métalique monté sur planche de bois, fiches cartonnées, 44 fiches, 68,5 x 27 x 4 cm, 1962, via centrepompidou

décembre 31, 2011

fuckyeahgillesdeleuze:

Writing has never been capitalism’s thing. Capitalism is profoundly illiterate. The death of writing is like the death of God or the death of the father: the thing was settled a long time ago, although the news of the event is slow to reach us, and there survives in us the memory of extinct signs with which we still write. The reason for this is simple: writing implies a use of language in general according to which graphism becomes aligned on the voice, but also overcodes it and induces a fictitious voice from on high that functions as a signifier. The arbitrary nature of the thing designated, the subordination of the signified, the transcendence of the despotic signifier, and finally, its consecutive decomposition into minimal elements within a field of immanence uncovered by the withdrawal of the despot—all this is evidence that writing belongs to imperial despotic representation. Once this is said, what exactly is meant when someone announces the collapse of the ‘Gutenberg galaxy’? Of course capitalism has made and continues to make use of writing: not only is writing adapted to money as the general equivalent, but the specific functions of money in capitalism went by way of writing and printing, and in some measure continue to do so. The fact nonetheless remains that writing typically plays the role of an archaism in capitalism, the Gutenberg press being the element that confers on the archaism a current function. But the capitalist use of language is different in nature; it is realized or becomes concerted within the field of immanence peculiar to capitalism itself, with the appearance of the technical means of expression that correspond to the generalized decoding of flows, instead of still referring, in a direct or indirect form, to despotic overcoding.

(Anti-Oedipus, p. 260—261)

 

L’écriture n’a jamais été la chose du capitalisme. Le capitalisme est profondément analphabète. La mort de l’écriture, c’est comme la mort de Dieu ou du père, il y a longtemps que c’est fait, bien que l’événement mette longtemps à nous parvenir, et que survive en nous le souvenir de signes disparus avec lesquels nous écrivons toujours. La raison en est simple: l’écriture implique un usage du language en général d’après lequel le graphisme s’aligne sur la voix, mais aussi la surcode et induit une voix fictive des hauteurs fonctionnant comme signifiant. L’arbitraire du désigné, la subordination du signifié, la transcendance du signifiant despotique, et enfin sa décomposition consécutive en éléments minimaux dans un champ d’immanence mis à découvert par le retrait du despote, tout cela marque l’appartenance de l’écriture à la représentation despotique impériale. Dès lors, quand on annonce l’éclatement de la “galaxie Gutenberg”, que veut-on dire au juste? Certes, le capitalisme s’est beaucoup servi et se sert de l’écriture; non seulement l’écriture convient avec la monnnaie comme équivalent général, mais les fonctions spécifiques de la monnaie dans le capitalisme passèrent par l’écriture et l’imprimerie, et pour une part continuent de passer par là. Il n’en reste pas moins que l’écriture joue typiquement le rôle d’un archaïsme dans le capitalisme, l’imprimerie-Gutenberg étant alors l’élément qui donne à l’archaïsme une fonction actuelle. Mais l’usage capitaliste du langage est en droit d’une autre nature et se réalise ou devient concret dans le champ d’immanence propre au capitalisme lui-même, lorsqu’apparaissent les moyens techniques d’expression qui correspondent au décodage généralisé des flux, au lieu de renvoyer encore sous une forme directe ou indirecte au surcodage despotique.

(L’Anti-Œdipe, p. 285–286)

 

 

décembre 31, 2011

Victor Hugo, L’homme qui rit, Brouillons et notes préparatoires, 37,5 x 29 cm, BNF, Manuscrits, via BnF – Brouillons d’écrivains

livre

décembre 30, 2011

La propriété littéraire est d’utilité générale. Toutes les vieilles législations monarchiques ont nié et nient encore la propriété littéraire. Dans quel but ? Dans un but d’asservissement. L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. On l’espère du moins. De là ce sophisme singulier, qui serait puéril s’il n’était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n’existe pas. Confusion étrange, d’abord, de la faculté de penser, qui est générale, avec la pensée, qui est individuelle ; la pensée, c’est le moi ; ensuite, confusion de la pensée, chose abstraite, avec le livre, chose matérielle. La pensée de l’écrivain, en tant que pensée, échappe à toute main qui voudrait la saisir ; elle s’envole d’âme en âme ; elle a ce don et cette force, -virum volitare per ora- ; mais le livre est distinct de la pensée ; comme livre, il est saisissable, tellement saisissable qu’il est quelquefois saisi. (On rit) Le livre, produit de l’imprimerie, appartient à l’industrie et détermine, sous toutes ses formes, un vaste mouvement commercial ; il se vend et s’achète ; il est une propriété, valeur créée et non acquise, richesse ajoutée par l’écrivain à la richesse nationale, et certes, à tous les points de vue, la plus incontestable des propriétés. Cette propriété inviolable, les gouvernements despotiques la violent ; ils confisquent le livre, espérant ainsi confisquer l’écrivain. De là le système des pensions royales. Prendre tout et rendre un peu. Spoliation et sujétion de l’écrivain. On le vole, puis on l’achète. Effort inutile, du reste. L’écrivain échappe. On le fait pauvre, il reste libre. (Applaudissements) Qui pourrait acheter ces consciences superbes, Rabelais, Molière, Pascal ? Mais la tentative n’en est pas moins faite, et le résultat est lugubre. La monarchie est on ne sait quelle succion terrible des forces vitales d’une nation ; les historiographes donnent aux rois les titres de « pères de la nation » et de « pères des lettres » ; tout se tient dans le funeste ensemble monarchique ; Dangeau, flatteur, le constate d’un côté ; Vauban, sévère, le constate de l’autre ; et, pour ce qu’on appelle « le grand siècle », par exemple, la façon dont les rois sont pères de la nation et pères des lettres aboutit à ces deux faits sinistres : le peuple sans pain, Corneille sans souliers. (Longs applaudissements)

Victor Hugo, Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878, 1878, via inlibroveritas.net

décembre 30, 2011

Giovanni Colonna, Mare historiarum, ouest de la France (Angers ?), milieu XVe siècle, Paris, BnF, département des Manuscrits, Latin 4915, fol.1, via BnF : L’aventure des écritures

alphabet

décembre 29, 2011

Si bien que les lettres ont beau ne pas représenter des idées, elles se combinent entre elles comme les idées, et les idées se nouent et se dénouent comme les lettres de l’alphabet*. La rupture du parallélisme exact entre représentation et graphisme permet de loger la totalité du langage, même écrit, dans le domaine général de l’analyse, et d’appuyer l’un sur l’autre le progrès de l’écriture et celui de la pensée**. Les mêmes signes graphiques pourront décomposer tous les mots nouveaux, et transmettre, sans crainte d’oubli, chaque découverte, dès qu’elle aura été faite ; on pourra se servir du même alphabet pour transcrire différentes langues, et faire passer ainsi à un peuple les idées d’un autre. L’apprentissage de cet alphabet étant très facile à cause du tout petit nombre de ses éléments, chacun pourra consacrer à la réflexion et à l’analyse des idées le temps que les autres peuples gaspillent à apprendre les lettres. Et c’est ainsi qu’à l’intérieur du langage, très exactement en cette pliure des mots où l’analyse et l’espace se rejoignent, naît la possibilité première mais indéfinie du progrès. En sa racine, le progrès, tel qu’il est défini au XVIIIe siècle, n’est pas un mouvement intérieur à l’histoire, il est le résultat d’un rapport fondamental de l’espace et du langage : « Les signes arbitraires du langage et de l’écriture, donnent aux hommes le moyen de s’assurer la possession de leurs idées et de leurs idées et de les communiquer aux autres ainsi qu’un héritage toujours augmenté des découvertes de chaque siècle ; et le genre humain considéré depuis son origine paraît aux yeux d’un philosophe un tout immense qui lui-même a, comme chaque individu, son enfance et ses progrès***. » Le langage donne à la perpétuelle rupture du temps la continuité de l’espace, et c’est dans la mesure où il analyse, articule et découpe la représentation, qu’il a le pouvoir de lier à travers le temps la connaissance des choses. Avec le langage, la monotonie confuse de l’espace se fragmente, tandis que s’unifie la diversité des successions.

Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, pp. 128-129.

* Condillac, Grammaire, chap. 2.

** Adam Smith, Considérations sur l’origine et la formation des langues, p. 424.

*** Turgot, Tableau des progrès successifs de l’esprit humain, 1750 (Œuvres, éd. Schelle, p. 215).

décembre 29, 2011

Tablette en écriture cunéiforme alphabétique, Argile, H. 10,1 x I. 6,8 cm, ép. 2,2 cm, Ras Shamra (ancienne Ougarit, Syrie), XIIe siècle av. J.-C, Musée du Louvre, Antiquités orientales, AO 17289, via BnF : L’aventure des écritures

writing

décembre 29, 2011

Until writing was invented, man lived in acoustic space : boundless, directionless, horizonless, in the dark of the mind, in the world of emotion, by primordial intuition, by terror. Speech is a social chart of the bog.

The goose quill put an end to talk. Il abolished mystery ; it gave architecture and towns ; it brought roads and armies, bureaucracy. Il was the basic metaphor with which the cycle of civilization began, the step from the dart into the light of the mind. The hand that filled the parchment page built a city whence did the wond’rous mystic art arise, of painting SPEECH, and speaking to the eyes ? That we by tracing magic line are taught, How to embody, and to colour THOUGHT ?

Marshall McLuhan, Quentin Fiore, The medium is the massage, A penguin book, 1967, p. 48.