Archive for janvier 2012

janvier 28, 2012

Odilon Redon

insilentagony:

I saw above the misty outline of a human form.

masque

janvier 28, 2012

C’est une absurdité de prétendre mettre le signifiant en rapport avec le corps. Ou du moins ce n’est qu’avec un corps déjà tout entier visagéifié. La différence entre nos uniformes et vêtements d’une part, d’autre part les peintures et vêtures primitives, c’est que les premiers opèrent une visagéification du corps, avec le trou noir des boutons et le mur blanc de l’étoffe. Même le masque trouve ici une nouvelle fonction, juste le contraire de la précédente. Car il n’y a aucune fonction unitaire du masque, sauf négative (en aucun cas le masque ne sert à dissimuler, à cacher, même en montrant ou révélant). On bien le masque assure l’appartenance de la tête au corps, et son devenir-animal, comme dans les sémiotiques primitives. Ou bien au contraire, comme maintenant, le masque assure l’érection, l’exhaussement du visage, la visagéification de la tête et du corps : le masque est alors le visage en lui-même, l’abstraction ou l’opération du visage. Inhumanité du visage. Jamais le visage ne suppose un signifiant ou un sujet préalables. L’ordre est tout à fait différent : agencement concret de pouvoir despotique et autoritaire -> déclenchement de la machine abstraite de visagéité, mur blanc-trou noir -> installation de la nouvelle sémiotique de signifiance et de subjectivation, sur cette surface trouée. C’est pourquoi nous n’avons pas cessé de considérer deux problèmes exclusivement : le rapport du visage avec la machine abstraite qui le produit ; le rapport du visage avec les agencements de pouvoir qui ont besoin de cette production sociale. Le visage est une politique.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, p. 222.

It is absurd to claim to relate the signifier to the body. At any rate it can be related only to a body that has already been entirely facialized. The difference between our uniforms and clothes and primitive paintings and garb is that the former effect a facialization of the body, with buttons for black holes against the white wall of the material. Even the mask assumes a new function here, the exact opposite of its old one. For there is no unitary function of the mask, except a negative one (in no case does the mask serve to dissimulate, to hide, even while showing or revealing). Either the mask assures the head’s belonging to the body, its becoming-animal, as was the case in primitive societies. Or, as is the case now, the mask assures the erection, the construction of the face, the facialization of the head and the body: the mask is now the face itself, the abstraction or operation of the face. The inhumanity of the face. Never does the face assume a prior signifier or subject. The order is totally different: despotic and authoritarian concrete assemblage of power -> triggering of the abstract machine of faciality, white wall/black hole -> installation of the new semiotic of signifiance and subjectification on that holey surface. That is why we have been addressing just two problems exclusively: the relation of the face to the abstract machine that produces it, and the relation of the face to the assemblages of power that require that social production. The face is a politics

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, p. 202. (version PDF).

janvier 28, 2012

sadburro:

Odilon Redon

racisme

janvier 28, 2012

Si le visage est bien le Christ, c’est-à-dire l’Homme blanc moyen quelconque, les premières déviances, les premiers écarts-types sont raciaux : homme jaune, homme noir, hommes de deuxième ou troisième catégorie. Eux aussi seront inscrits sur le mur, distribués par le trou. Ils doivent être christianisés, c’est-à-dire visagéifiés. Le racisme européen comme prétention de l’homme blanc n’a jamais procédé par exclusion, ni assignation de quelqu’un désigné comme Autre : ce serait plutôt dans les sociétés primitives qu’on saisit l’étranger comme un « autre * ». Le racisme procède par détermination des écarts de déviance, en fonction du visage Homme blanc qui prétend intégrer dans des ondes de plus en plus excentriques et retardées les traits qui ne sont pas conformes, tantôt pour les tolérer à telle place et dans telles conditions, dans tel ghetto, tantôt pour les effacer sur le mur qui ne supporte jamais l’altérité (c’est un juif, c’est un arabe, c’est un nègre, c’est un fou…, etc.). Du point de vue du racisme, il n’y a pas d’extérieur, il n’y a pas de gens du dehors. Il n’y a que des gens qui devraient être comme nous, et dont le crime est de ne pas l’être. La coupure ne passe plus entre un dedans et un dehors, mais à l’intérieur des chaînes signifiantes simultanées et des choix subjectifs successifs. Le racisme ne détecte jamais les particules de l’autre, il propage les ondes du même jusqu’à l’extinction de ce qui ne se laisse pas identifier (ou qui ne se laisse identifier qu’à partir de tel ou tel écart). Sa cruauté n’a d’égale que son incompétence ou sa naïveté.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, p. 218.

* Sur la saisie de l’étranger comme Autre, cf. Haudricourt, « L’origine des clones et des clans », in L’Homme, janvier 1964, pp. 98-102. Et jaulin, Gens du soi, gens de l’autre, 10-18 (préface, p. 20).

If the face is in fact Christ, in other words, your average ordinary White Man, then the first deviances, the first divergence-types, are racial: yellow man, black man, men in the second or third category. They are also inscribed on the wall, distributed by the hole. They must be Christianized, in other words, facialized. European racism as the white man’s claim has never operated by exclusion, or by the designation of someone as Other: it is instead in primitive societies that the stranger is grasped as an “other.”** Racism operates by the determination of degrees of deviance in relation to the White-Man face, which endeavors to integrate nonconforming traits into increasingly eccentric and backward waves, sometimes tolerating them at given places under given conditions, in a given ghetto, sometimes erasing them from the wall, which never abides alterity (it’s a Jew, it’s an Arab, it’s a Negro, it’s a lunatic …). From the viewpoint of racism, there is no exterior, there are no people on the outside. There are only people who should be like us and whose crime it is not to be. The dividing line is not between inside and outside but rather is internal to simultaneous signifying chains and successive subjective choices. Racism never detects the particles of the other; it propagates waves of sameness until those who resist identification have been wiped out (or those who only allow themselves to be identified at a given degree of divergence). Its cruelty is equaled only by its incompetence and naivete.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, p. 199. (version PDF).

** On the stranger grasped as Other, see Andre Haudricourt, “Nature et culture dans la civilisation de l’igname: l’origine des clones et des clans,” L’Homme vol. 4, no. 1 (January-April 1964), pp. 98-102. And Robert Jaulin, Gens de soi, gens de I’autre (Paris: Union Generate d’Editions, 1973), preface, p. 20.

janvier 28, 2012

virgileptembre:

Odilon Redon – Visage derrière les barreaux

Jésus superstar

janvier 28, 2012

Les organisations de pouvoir du chaman, du guerrier, du chasseur, fragiles et précaires, sont d’autant plus spirituelles qu’elles passent par la corporéité, l’animalité, la végétabilité. Quand nous disions que la tête humaine appartient encore à la strate d’organisme, évidemment nous disions seulement que les codes de ces cultures et de ces sociétés portent sur les corps, sur l’appartenance des têtes aux corps, sur l’aptitude du système corps-tête à devenir, à recevoir des âmes, les recevoir en amies et repousser les âmes ennemies. Les « primitifs » peuvent avoir les têtes les plus humaines, les plus belles et les plus spirituelles, ils n’ont pas de visage et n’en ont pas besoin.

Et pour une raison simple. Le visage n’est pas un universel. Ce n’est même pas celui de l’homme blanc, c’est l’Homme blanc lui-même, avec ses larges joues blanches et le trou noir des yeux. Le visage, c’est le Christ. Le visage, c’est l’Européen type, ce qu’Ezra Pound appelait l’homme sensuel quelconque, bref l’Erotomane ordinaiare (les psychiatres du XIXe siècle avaient raison de dire que l’érotomanie, à la différence de la nymphomanie, restait souvent pure et chaste ; c’est qu’elle passe par le visage et la visagéification). Pas universel, mais facies totius universi. Jésus superstar : il invente la visagéification de tout le corps et la transmet partout (la Passion de Jeanne d’Arc, en gros plan).

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, pp. 216-217.

Possession expresses a direct relation between Voices and the body rather than a relation to the face. Shaman, warrior, and hunter organizations of power, fragile and precarious, are all the more spiritual by virtue of the fact that they operate through corporeality, animality, and vegetality. When we said earlier that the human head still belongs to the stratum of the organism, we obviously were not denying the existence of culture and society among these peoples; we were merely saying that these cultures’ and societies’ codes pertain to bodies, to the belonging of heads to bodies, to the ability of the body-head system to become and receive souls, and to receive them as friends while repulsing enemy souls. “Primitives” may have the most human of heads, the most beautiful and most spiritual, but they have no face and need none. The reason is simple. The face is not a universal. It is not even that of the white man; it is White Man himself, with his broad white cheeks and the black hole of his eyes. The face is Christ. The face is the typical European, what Ezra Pound called the average sensual man, in short, the ordinary everyday Erotomaniac (nineteenth-century psychiatrists were right to say that erotomania, unlike nymphomania, often remains pure and chaste; this is because it operates through the face and facialization). Not a universal, but fades totius universi. Jesus Christ superstar: he invented the facialization of the entire body and spread it everywhere (the Passion of Joan of Arc, in close-up).

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, p. 197. (version PDF).

janvier 28, 2012

Odilon Redon, Tête de Christ, 51,5 x 37,8 cm, 1884-1885, Londres, The British Museum.

visage-bunker

janvier 28, 2012

La visagéification n’opère pas par ressemblance, mais par ordre des raisons. C’est une opération beaucoup plus inconsciente et machinique qui fait passer tout le corps par la surface trouée, et où le visage n’a pas le rôle de modèle ou d’image, mais celui de surcodage pour toutes les parties décodées. Tout reste sexuel, aucune sublimation, mais de nouvelles coordonnées. C’est précisément parce que le visage dépend d’une machine abstraite qu’il ne se contentera pas de recouvrir la tête, mais affectera les autres parties du corps, et même au besoin d’autres objets sans ressemblance. La question dès lors est de savoir dans quelles circonstances cette machine est déclenchée, qui produit visage et visagéifiction. Si la tête, même humaine, n’est pas forcément visage, le visage est produit dans l’humanité, mais par une nécessité qui n’est pas celle des hommes « en général ». Le visage n’est pas animal, mais il n’est pas plus humain en général, il y a même quelque chose d’absolument inhumain dans le visage. C’est une erreur de faire comme si le visage ne devenait inhumain qu’à partir d’un certain seuil : gros plan, grossissement exagéré, expression insolite, etc. Inhumain dans l’homme, le visage l’est dès le début, il est par nature gros plan, avec ses surface blanches inanimées, ses trous noirs brillants, son vide et son ennui. Visage-bunker.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, p. 209

Facialization operates not by resemblance but by an order of reasons. It is a much more unconscious and machinic operation that draws the entire body across the holey surface, and in which the role of the face is not as a model or image, but as an overcoding of all of the decoded parts. Everything remains sexual; there is no sublimation, but there are new coordinates. It is precisely because the face depends on an abstract machine that it is not content to cover the head, but touches all other parts of the body, and even, if necessary, other objects without resemblance. The question then becomes what circumstances trigger the machine that produces the face and facialization. Although the head, even the human head, is not necessarily a face, the face is produced in humanity. But it is produced by a necessity that does not apply to human beings “in general.” The face is not animal, but neither is it human in general; there is even something absolutely inhuman about the face. It would be an error to proceed as though the face became inhuman only beyond a certain threshold: close up, extreme magnification, recondite expression, etc. The inhuman in human beings: that is what the face is from the start. It is by nature a close-up, with its inanimate white surfaces, its shining black holes, its emptiness and boredom. Bunker-face.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, pp. 191-192. (version PDF).

janvier 20, 2012

Odilon Redon, Les origines, 1883.

ymutate:

Odilon Redon, (1840-1916) : The Origin of Vision

found at RasMarley, posted by ymutate

œil

janvier 20, 2012

Nous avions rencontré deux axes, de signifiance et de subjectivation. C’étaient deux sémiotiques très différentes, ou même deux strates. Mais la signifiance ne va pas sans un mur blanc sur lequel elle inscrit ses signes et ses redondances. La subjectivation ne va pas sans un trou noir où elle loge sa conscience, sa passion, ses redondances. Comme il n’y a que des sémiotiques mixtes, ou que les strates vont au moins par deux, on ne doit pas s’étonner du montage d’un dispositif très spécial à leur croisement. C’est pourtant curieux, un visage : système mur blanc-trou noir. Large visage aux joues blanches, visage de craie percé des yeux comme trou noir. Tête de clown, clown blanc, pierrot lunaire, ange de la mort, saint suaire. Le visage n’est pas une enveloppe extérieure à celui qui parle, qui pense ou qui ressent. La forme du signifiant dans le langage, ses unités mêmes resteraient indéterminées si l’auditeur éventuel ne guidait ses choix sur le visage de celui qui parle (« tiens, il a l’air en colère… », « il n’a pas pu dire cela… », «tu vois mon visage quand je te cause… », « regarde-moi bien…»). Un enfant, une femme, une mère de famille, un homme, un père, un chef, un instituteur, un policier ne parlent pas une langue en général, mais une langue dont les traits signifiants sont indexés sur des traits de visagéité spécifiques. Les visages ne sont pas d’abord individuels, ils définissent des zones de fréquence ou de probabilité, délimitent un champ qui neutralise d’avance les expressions et connexions rebelles aux significations conformes. De même la forme de la subjectivité, conscience ou passion, resterait absolument vide si les visages ne formaient des lieux de résonance qui sélectionnent le réel mental ou senti, le rendant d’avance conforme à une réalité dominante. Le visage est lui-même redondance. Et il fait lui-même redondance avec les redondances de signifiance ou de fréquence, comme avec celles de résonance ou de subjectivité. Le visage construit le mur dont le signifiant a besoin pour rebondir, il constitue le mur du signifiant, le cadre ou l’écran. Le visage creuse le trou dont la subjectivation a besoin pour percer, il constitue le trou noir de la subjectivité comme conscience ou passion, la caméra, le troisième œil.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, Mille plateaux, Paris, Les éditions de minuit, 1980, pp. 205-206.

Earlier, we encountered two axes, signifiance and subjectification. We saw that they were two very different semiotic systems, or even two strata. Signifiance is never without a white wall upon which it inscribes its signs and redundancies. Subjectification is never without a black hole in which it lodges its consciousness, passion, and redundancies. Since all semiotics are mixed and strata come at least in twos, it should come as no surprise that a very special mechanism is situated at their intersection. Oddly enough, it is a face: the white wall/black hole system. A broad face with white cheeks, a chalk face with eyes cut in for a black hole. Clown head, white clown, moon-white mime, angel of death, Holy Shroud. The face is not an envelope exterior to the person who speaks, thinks, or feels. The form of the signifier in language, even its units, would remain indeterminate if the potential listener did not use the face of the speaker to guide his or her choices (“Hey, he seems angry …”; “He couldn’t say it…”; “You see my face when I’m talking to you …”; “look at me carefully…”). A child, woman, mother, man, father, boss, teacher, police officer, does not speak a general language but one whose signifying traits are indexed to specific faciality traits. Faces are not basically individual; they define zones of frequency or probability, delimit a field that neutralizes in advance any expressions or connections unamenable to the appropriate significations. Similarly, the form of subjectivity, whether consciousness or passion, would remain absolutely empty if faces did not form loci of resonance that select the sensed or mental reality and make it conform in advance to a dominant reality. The face itself is redundancy. It is itself in redundancy with the redundancies of signifiance or frequency, and those of resonance or subjectivity. The face constructs the wall that the signifier needs in order to bounce off of; it constitutes the wall of the signifier, the frame or screen. The face digs the hole that subjectification needs in order to break through; it constitutes the black hole of subjectivity as consciousness or passion, the camera, the third eye.

Gilles Deleuze, Felix Guattari, A thousand plateaus, translation and foreword by Brian Massumi, University of Minnesota Press, Minneapolis, London, 1987, pp. 188-189. (version PDF).