Archive for mars 2012

mars 21, 2012

Krzysztof Wodiczko, Projet de véhicule pour les sans-abri, 1988, Art public, art critique, Textes, propos et documents, Paris, École nationale des Beaux-Arts, 1995, p. 178, via phomul.canalblog.com

denizens

mars 21, 2012

Ce à quoi les États industrialisés sont aujourd’hui confrontés, c’est à une masse de résidents stables non citoyens, qui ne peuvent ni ne veulent plus être ni naturalisés ni rapatriés. Ces non-citoyens ont souvent une nationalité d’origine, mais, du moment qu’ils préfèrent ne pas jouir de la protection de leur propre État, se trouvent, tout comme les réfugiés, dans la condition d’apatrides de fait. T. Hammar a employé, pour désigner ces résidents non citoyens, le terme denizens, qui a le mérite de montrer comment le concept de citizen est désormais inapte à décrire la réalité politico-sociale des États industriels avancés (aux État-Unis comme en Europe, manifestent, par une désertion de plus en plus marquée des instances codifiées de la participation politique, une propension évidente à se transformer en denizens, en résidents stables non citoyens. Tant et si bien que denizens et citizens finissent par s’inscrire, du moins pour certaines couches sociales, dans une zone d’indistinction potentielle. Ce qui multiple les réactions xénophobes et les mobilisations défensives, conformément au principe bien connu selon lequel, vu les différences formelles, l’assimilation substantielle exaspère la haine et l’intolérence.

Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995, pp. 34-35.

mars 20, 2012

Krzysztof Wodiczko, Bâton d’étranger, 1992, Art public, art critique, textes, propos et documents, Paris, École nationale des Beaux-Arts, 1995, pp. 218-219, via phomul.canalblog.com

étranger

mars 20, 2012

Des millions traversent et transgressent des multitudes de barrières et de frontières à la fois internes et externes, géopolitiques, éthiques, spirituelles, celles qui séparent les zones publiques des zones privées. Les identités et les communautés se désintègrent, se multiplient, se croisent, se modifient et reforment des configurations, ce qui déclenche une peur violente parmi ceux qui se sentent envahis par d’autres, qui eux-mêmes importent une douleur muette.

Notre étrangéité est une condition curieusement familière, secrète, inquiétante qui, lorsqu’elle est gardée dans les cavernes idéologiques de notre subjectivité peut exploser en présence du véritable étranger. Pour ceux qui sont en transit, l’état d’étranger s’accumule comme une expérience sans forme, sans langage, sans expression et sans droit à être communiquée, et devient ainsi un dangereux symptôme psychique. La vrai frontière à remettre en question se situe entre la douleur muette et le désespoir du véritable étranger. L’art peut-il servir à passer ce type de frontière de façon expressive, interrogative et révélatrice ? Peut-il être une source d’inspiration, une provocation, le premier acte d’une nouvelle forme de communication dans une communauté non xénophobe ? Peut-on concevoir ou créer une performance, un objet icone, un environnement ou un équipement symboliques dans le but de lancer un tel projet psycho-culturel conciliatoire ?

Krzysztof Wodiczko, Art public, art critique, Textes, propos et documents, Trad. de l’anglais par Michelle Herpe-Volinsky et du polonais par Wojciech Kolecki, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1995, p. 221.

mars 19, 2012

Réfugiés, demandeurs d’asile et déplacés, 2006, via cartographie.sciences-po.fr

réfugié

mars 19, 2012

Si le réfugié représente dans la structure de l’État-nation un élément aussi inquiétant, c’est avant tout parce que en cassant l’identité entre homme et citoyen, entre nativité et nationalité, il met en crise la fiction originaire de la souveraineté. Naturellement, il y a toujours eu des exceptions singulières à ce principe. La nouveauté de notre temps, menaçant l’État-nation dans ses fondements même, c’est que des parties de plus en plus importantes de l’humanité en sont plus représentables en son sein. Justement parce qu’il détruit la vieille trinité État-nation-territoire, le réfugié, cette figure apparemment marginale, mérite d’être considéré, au contraire, comme la figure centrale de notre histoire politique. Il ne faut pas oublier que les premiers camps furent construits en Europe comme les espaces de contrôle pour les réfugiés et que la succession camps d’internement / camps de concentration / camps d’extermination représente une filiation parfaitement réelle. Une des rares règles que les nazis observèrent constamment lors de la « solution finale » fut celle d’envoyer dans les camps d’extermination les Juifs et les Tsiganes seulement après les avoir privés totalement de leur nationalité (même de cette citoyenneté de seconde classe qui était la leur d’après les loi de Nuremberg). Quand ses droits ne sont plus des droits du citoyen, l’homme alors est vraiment sacré, dans le sens que donne à ce terme le droit romain archaïque : voué à la mort.

Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995, pp. 32-33.

mars 18, 2012

AFP Stephane de Sakutin, « Selon l’association la Cimade, présente au CRA du Mesnil-Amelot, le témoignage de Gil Juwuest sans précédent », via Sur Twitter, la chronique insolite d’un sans-papiers en rétention – Libération

zone d’indétermination

mars 18, 2012

Dans tous ces cas-là, un lieu en apparence anodin (par exemple, l’hôtel Arcade à Roissy) délimite en réalité un espace où les système normal est effectivement suspendu et où le fait de commettre plus ou moins d’atrocités ne défend pas du droit, mais seulement de la civilité et du sens éthique de la police qui agit provisoirement en souveraine (par exemple, au cour des quatre jours pendant lesquels les étrangers peuvent être retenus dans la zone d’attente avant l’intervention de l’autorité judiciaire). Mais aussi certaines banlieues des grandes villes pot-industrielles – et, dans un sens inverse, mais homologue, celles qu’on appelle aux États-Unis des gated communities – commencent aujourd’hui à ressembler à des camps où vie nue et vie politique entrent, du moins à des moments bien précis, dans une zone d’indétermination.

Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995, pp. 52-53.

mars 17, 2012

«L’encampement » en Europe et autour de la Méditerranée, via Fil rouge

camp

mars 17, 2012

Il faut réfléchir au statut paradoxal du camp en tant qu’espace d’exception : c’est un bout de territoire qui est placé en dehors du système juridique normal, mais qui, pour autant, n’est pas simplement un espace extérieur. Ce qui est exclu en lui est, selon le sens étymologique du terme exception (ex-capere), pris au dehors, inclus grâce à son exclusion même. Mais ce qui, de cette façon, est avant tout capturé dans le système c’est l’état d’exception lui-même. Le camp est la structure dans laquelle se réalise durablement l’état d’exception. Hannah Arendt a remarqué autrefois que dans les camps apparaît très clairement le principe qui régit la domination totalitaire et que le sens commun se refuse obstinément à admettre, c’est-à-dire le principe selon lequel « tout est possible ».

Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, 1995, p. 50.