![](https://i0.wp.com/24.media.tumblr.com/tumblr_m6arimqlAb1qaw03ro1_500.jpg)
Santiago Sierra, 68 people paid to block a museum entrance, Museum of contemporary art, Pusan, Korea, October 2000, « I am being paid 3,000 wons per hour to do this job », via Santiago Sierra)
Santiago Sierra, 68 people paid to block a museum entrance, Museum of contemporary art, Pusan, Korea, October 2000, « I am being paid 3,000 wons per hour to do this job », via Santiago Sierra)
Lyotard précise : Un artiste, un écrivain postmoderne est dans la situation d’un philosophie : le texte qu’il écrit, l’œuvre qu’il accomplit ne sont pas en principe gouvernées par des règles déjà établies, et ils ne peuvent pas être jugés au moyen d’un jugement déterminant, par l’application à ce texte, à cette œuvre de catégories connues. Ces règles et ces catégories sont ce que l’œuvre ou le texte recherche. L’artiste et l’écrivain travaillent donc sans règles, et pour établir les règles de ce qui aura été fait. »
C’est bien là une manière de rappeler cette évidence, souvent occultée de nos jours, à savoir que ce sont les œuvres d’art qui engendrent les critères et non pas l’inverse.
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005, pp. 273-274.
C’est d’ailleurs cette propriété de l’image numérique qui « informe » l’art contemporain avec le plus de force : déjà, dans une grande part de l’art d’avant-garde des années soixante, l’œuvre se donnait moins comme une réalité autonome que comme un programme à effectuer, un modèle à reproduire (par exemple, les jeux inventés par Brecht et Filliou), une incitation à créer soi-même (Beuys) ou à agir (Franz Erhard Walter). Dans l’art des années quatre-vingt-dix, alors que les technologies interactives se développent à une vitesse exponentielle, les artistes explorent les arcanes de la sociabilité et de l’interaction, dont l’œuvre d’art fait office de déclencheur. L’horizon théorique et pratique de l’art de cette décennie est constitué en grande partie par la relation interhumaine : elle est la forme même de la production artistique contemporaine.
Nicolas Bourriaud, « Relations écran. L’art des années quatre-vingt-dix et ses modèles technologies», catalogue de la Troisième Biennale d’art contemporain de Lyon (installation, cinéma, vidéo, informatique), Paris, Réunion des musées nationaux, 1995, p. 491.
Denys Riout, Qu’est-ce que l’art moderne ?, Paris, Gallimard, 2000, p. 405.
Franz Erhard Walther, Fur Zwei (For Two), 1967, via staywritingart
Ce qui fait la valeur y compris marchande, d’une information, c’est sa nouveauté. Et, comme le dit Arman, aujourd’hui « l’artiste est un informateur ». Il doit faire événement pour retenir l’attention… et la clientèle. Le marché de l’art est de l’information traduite en cotation. Et l’information, cela se mesure au degré d’écart à la moyenne. C’est très précisément l’inverse d’une probabilité d’apparition. C’est pourquoi les formes les plus valorisées sont aujourd’hui les plus inattendues, car, faisant plus événement que les autres, elles font mieux parler d’elles : emballer le Pont-Neuf, poser son chevalet devant un rhinocéros au zoo de Vincennes, rouler une femme nue sur une toile peinte ou placer un champ de blé devant l’Arc de Triomphe — c’est d’abord faire du bon journalisme, en produisant l’équivalent d’une catastrophe de chemin de fer. Il s’ensuit que le traditionalisme est un aberration médiatique (comme un train qui arrive à l’heure), et la peinture de défi, normale. Seul paye l’écart au code ; le devoir d’originalité personnelle est devenu une nécessité économique matérielle, et l’ange du bizarre, Monsieur tout le monde. La fusion des valeurs de création et d’information, qui aboutit à « l’art communicationnel », permet de s’orienter assez bien dans la désorientation contemporaine du n’importe quoi.
Régis Debray, Vie et mort de l’image, Gallimard, Paris, 1992, p.63-64.
Christa Sommerer & Laurent Mignonneau, (Unruhige See), 2010, photo by Haupt & Binder, « The artists purchased a painting at an auction house in Vienna for 450 Euro and subsequently transformed it into an interactive installation. Sensors installed within the painting measure the amount of time a viewer stands in front of it and, through this, estimate the amount of attention and appreciation the artwork receives. At the same time, an integrated printer produces a bill indicating the painting’s current price based on purchase and production costs and the continually increasing exhibition value. », via universes in universe
Joseph Beuys, Scala Libera, 1985, via angel flores jr
Beuys résume habituellement le concept élargi de l’art par le slogan : « Toute être humain est un artiste. » Il ne dit pas : « Tout est art. » L’accès à la sphère publique ne transforme pas n’importe quel geste ou sa trace en œuvre d’art — ni non plus en objet doté de valeur.* Ce qui permet, et que donne en exemple l’art de Joseph/Joséphine, c’est la révélation du caractère inventif de certains de ces gestes, de leur capacité exemplaire à favoriser des individuations inédites, contre les pétrifications que produit la machine sociale pour enfin s’y heurter.
Jean-Philippe Antoine, La traversée du XXe siècle Joseph Beuys, l’image et le souvenir, Les presses du réel, Genève, 2011, p. 384.
* Beuys précise parfois : « Tout homme est un artiste en puissance. Il s’agit de potentialité. » Voir La mot me tient en éveil, op. cit., p. 76. Il me faut ici différer d’avec certains des analyses si fécondes de Thierry de Duve. Lorsqu’il analyse l’« idée de l’art » comme « un nom propre », et l’impératif esthétique qui en découle comme « Fais n’importe quoi », l’auteur de Au nom de l’art. Pour une archéologie de la modernité (Paris, Minuit, 1989) réintègre le système auquel il échange duchampienne. De manière beaucoup plus général, l’affirmation « Tout est art » est un des contresens les plus tenaces — mais aussi un des plus significatifs — concernant le statut des objets vis-à-vis de l’art. Il consiste en un refus de penser la virtualité, et dans l’affirmation de l’actualité de l’objet comme ce qui résiste à la pensée.