Archive for the ‘regular’ Category

media stables

septembre 10, 2012

Un autre problème apparaît mieux quand on compare l’histoire de l’art avec l’histoire littéraire moderne. Pour ne prendre que deux exemples, l’histoire littéraire avait examiné avec un succès considérable le concept mallarméen d’un nouveau langage poétique ou les vicissitudes du roman moderne du point de vue de la structure de l’esprit moderne. La littérature, il est vrai, n’a jamais eu à redouter la perte de son medium, c’est-à-dire le langage. Dans les arts visuels au contraire, le tableau et la statue perdirent leur valeur de media stables. Bien plus, même l’activité de peindre et la notion de création personnelle furent remises en question.
Hans Belting, L’histoire de l’art est-elle finie ?, Trad. de l’allemand et de l’anglais par Jean-François Poirier et Yves Michaud, Éditions Jacqueline Chambon, 1989 (1983), p. 88.

artiste officiel

septembre 9, 2012

Daniel Buren, artiste français mondialement connu et lauréat en 2007 du prix Praemium Imperiale à Tokyo — considéré comme le prix Nobel des arts plastiques — dit clairement dans une interview au Monde en 2008 : « Il n’y a plus d’artistes officiels, les artistes ne représentent plus qu’eux-mêmes. » Le paradoxe de Buren est qu’après avoir créé un groupe d’artistes révolutionnaires dans les années 60, il est aujourd’hui considéré par certains comme un artiste officiel, ce qui le fait bondir. « Qui dit artiste officiel dit artiste représentant le pouvoir, quel qu’il soit. Les artistes d’aujourd’hui ne représentent qu’eux-mêmes ! » Buren passe du stade d’artiste inclassable à celui d’artiste officiel…
François Bourgineau, Art et argent les liaisons dangereuses, Édition Hugo & Compagnie, 2009, p. 189.

liste hiérarchise

septembre 9, 2012

Quand nous voyons une œuvre dite d’« art contemporain », nous voyons en fait l’art contemporain dans son ensemble. Il se met en vue lui-même dans son processus de production. il s’expose comme totalité, et totalité bouclée. Arrimé à ses mécanismes de transmission. Ceux-ci ne sont pas cachés : ils s’exhibent, par exemple dans les publications de listes et d’évaluations, supposées aider les producteurs à faire les bon choix, ou à renseigner le public sur les « meilleurs » artistes. Il en est ainsi du Kunst Kompass* qui établit une échelle de notoriété des artistes d’après le degré de reconnaissance qu’ils ont obtenu dans l’année (nombre d’expositions, privées ou collectives ; achats par les musées, par les collectionneurs ; en somme, degré de visibilité de ce qui est déjà rendu visible). Cette liste ainsi confirmée prédétermine les choix futurs… qui ne sont autres que ceux déjà opérés par les producteurs, puisque ce sont eux qui ont mis en vue les artistes que la liste hiérarchise.
Anne Cauquelin, L’art contemporain, PUF, Paris, 1992, pp. 54-55.
* Pour une analyse détaillé du Kunst Kompass, voir Annie Verger, « L’art d’estimer l’art. comment classer l’incomparable ? », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°s 67-68, mars 1987, p. 105-121.

problème de décision

septembre 8, 2012

Dès qu’une d’elles se pose, comme c’est arrivé de nombreuses fois dans l’evolution du roman depuis Richardson jusqu’à Joyce (par exemple, « L’école des femmes de Gide est-elle un roman ou un journal ? »), ce qui est en jeu n’est pas une analyse factuelle concernant des propriétés nécessaires et suffisantes, mais une décision sur la question de savoir si l’œuvre examinée est similaire à certains égards à d’autres œuvres, déjà appelées « romans », et si, en conséquence, elle justifie l’extension du concept afin de couvrir ce nouveau cas. L’œuvre nouvelle est narrative, de fiction, elle comporte l’esquisse de caractères et un dialogue, mais (notamment) elle ne comporte pas de séquence temporelle régulière dans l’intrigue ou bien elle est entremêlée d’articles de journaux réels. Elle est comme les romans reconnus, A, B, C,… à certains égard, mais non à d’autres. Mais ni B ni C non plus n’étaient comme A à certains égards quand on a décidé d’étendre à B et à C le concept appliqué à A. Parce que l’œuvre N + 1 (la toute nouvelle œuvre) est comme A, B, C,… N à certains égards — elle possède des plages de similitudes avec eux — le concept est étendu et une nouvelle phase du roman inaugurée. « N + 1 est-il un roman ? » n’est donc pas un problème factuel mais plutôt un problème de décision, où le verdict dépend de savoir si nous élargissons ou non notre ensemble de conditions d’application du concept.
Morris Weitz, « Le rôle de la théorie en esthétique », in Philosophie analytique et esthétique, Traduits et présentés par Danielle lories, Klincksieck, Paris, 2004, pp. 33-34.

choses nommées art

septembre 7, 2012

Il se peut que vous éprouviez le besoin d’assurer au mot « art » un statut ontologique qui soit une fois pour toutes sa définition. Vous vous faites alors philosophe ou même logicien puisque, depuis Aristote et Thomas d’Aquin, la logique est la voie royale de l’ontologie, et retournez tout d’abord à la définition empirique de votre corpus : l’art, c’est tout ce que les hommes appellent art*. Que cette définition, ou pseudo-définition, soit circulaire ne vous arrête pas le moins du monde puisque déjà vous pouvez en déduire que l’art est un nom, un prédicat commun à toutes les choses nommées art, un concept qu’il s’agit désormais de définir en extension et en compréhension. Votre corpus, s’il est exhaustif, fournit l’extension du concept d’art et permet l’analyse de la classe des choses artistiques en sous — classes qui sont autant de concept régionaux que celui d’art subsume.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 15.
* Ainsi Richard Wollheim : « What is art ? Art is the sum or totality of works of art » (Art and its Objects, Harper & Row, New York, 1968, p. 1). Il est évident que les questions ontologiques concernant l’art peuvent prendre leur départ ailleurs et n’ont pas à être posées exclusivement de l’intérieur de la logique. Ainsi le célèbre texte de Heidegger, « L’Origine de l’œuvre d’art », déborde et subvertit très délibérément ce cadre conceptuel. Mais il est un fait que lorsque la théorie de l’art cherche à s’appuyer sur une ontologie (régionale), elle est souvent encline à le faire à l’intérieur de la distinction qui prévaut dans la philosophie analytique entre ontologie et épistémologie et qui assigne à la première une priorité. La question « à quelles conditions quelque chose est-il de l’art ? » précède en droit la question « à quelles conditions une connaissance de l’art est-elle possible ? ».

intention

septembre 7, 2012

La notion de privé et de langages privés étant ce sur quoi ces artistes se distinguent de l’art minimal / post-minimal, il est important d’explorer les diverses formes passés et présentes du langage privé et de comprendre leurs implications. L’une d’entre elles concerne la notion d’intention*.
Rosalin Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Traduction par Jean-Pierre Criqui, Macula, Paris, 1993, The M. I. T. Press, Cambridge, Mass, 1985.
* En anglais, dans la théorie de l’art, le mot « intention » renvoie à l’idée d’un vouloir dire : l’œuvre pourrait être entièrement pensée avant d’être réalisée dans l’objet, cette conception d’une œuvre déjà là dans la tête avant son exécution caractérise toute l’esthétique classique ; elle se dit en français : « projection » (cf. le mot de Racine : « Ma pièce est faite, je n’ai plus qu’à l’écrire. »). (N. d. T.)

retrait esthétique

septembre 6, 2012

Le sculpteur Robert Morris signa un jour par-devant notaire le document suivant :

                 Déclaration de Retrait esthétique
Le soussigné Robert Morris, auteur de la construction de métal intitulée Litanies et décrite dans la première pièce à conviction jointe, retire à ladite construction, par le présent acte, toute qualité esthétique et tout contenu, et déclare à compter de ce jour ladite construction dépourvue de telle qualité ainsi que de contenu.
                                                Daté du 15 novembre 1963
                                                        Robert Morris
Harold Rosenberg, La dé-définition de l’art, Trad. de l’anglais par Christian Bounay, Éditions Jaqueline Chambon, 1992 (1972), p. 27.

sans foi ni loi

septembre 5, 2012

Il est pas étonnant qu’une fois aboutie la réduction de l’art à ses « conventions essentielles », la question de son être ait dû, pour pourvoir être posée une dernière fois, opérer un retrait stratégique dans les sphères éthérées de l’Art Conceptuel ou dans les déserts du Land Art. Ce n’est pas étonnant non plus que ce retrait ait été une dernière défense, pathétique avec le recul, contre la chute de l’art dans la marchandise, un dernier recours de l’exigence du sublime et de la nécessité d’inscrire une transcendance verticale dans la quête immanente à sa requête. Et ce n’est peut-être pas plus étonnant, mais c’est très significatif, que le Minimal Art, l’Art Pauvre, l’Art Conceptuel et Land Art soient apparus à l’apogée d’une période de croissance économique, à un moment de l’histoire où l’Occident n’imaginait pas qu’il y ait une fin à la société d’abondance. Inversement, il est peut-être tout aussi significatif, et guère plus étonnant, que ce soit au plus profond de la crise économique actuelle que le marché de l’art s’emballe à nouveau et qu’il s’enflamme, tout feu tout bois, pour un art sans foi ni loi.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 127.

interdit d’interdire

septembre 5, 2012

La loi ne fait pas qu’interdire, elle oblige. J’appelle donc moderne l’artiste dont le devoir est (était, fut, a été ?) de faire n’importe quoi. C’est un devoir et non un droit. C’est un commandement que l’artiste moderne reçoit et non une autorisation qu’il se donne. Comme tel, ce n’est même pas une loi au sens ordinaire ou juridique. La phrase « fais n’importe quoi » n’énonce pas une règle à laquelle des cas peuvent être soumis, elle prescrit au contraire d’agir sans règle. C’est l’injonction si l’injonction ne le dit pas ? Eh bien, fais ce que tu veux. Agis selon ta libre volonté. Si c’était un ordre, il était bien facile de lui obéir, et impossible par contre de lui désobéir. Quoi que je fasse, j’obtempère. Mais, si ce n’était pas un ordre, si c’était au contraire une permission comme l’ont cru les dadaïstes, alors ma volonté est inutile et il est inutile qu’elle soit libre. Quelque autorisation que je me donne, je ne suis jamais l’auteur de ce que je fais. N’importe qui peut faire n’importe quoi si tout est permis. Que faire donc, pour être artiste ? Que faire d’une liberté qui s’impose ou d’un ordre qu’il n’y a pas moyen d’enfreindre ? Que faire lorsqu’il est obligatoire que tout soit permis ou, comme on disait en mai 68, qu’il est interdit d’interdire ?
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 119.

histoire de l’art est finie

septembre 4, 2012

La formule « l’histoire de l’art est finie », énoncée par Danto, prête à confusion. De même que Hegel n’annonçait pas la mort de l’art, Danto n’envisage aucunement l’extinction à court terme de l’activité créatrice. La fin de l’art — plutôt que la fin de l’histoire de l’art — résulte en quelque sorte de la déflagration provoquée par le pop art, le quel interdit désormais de penser l’histoire de l’art occidental sous l’aspect d’un mouvement continu, évolutif, comme pouvait le laisser croire la modernité artistique. Dès lors que la frontière entre l’art et le non-art est abolie, que seules la théorie philosophique et la réflexion conceptuelle peuvent éventuellement la restaurer, cela veut dire que tout et dorénavant possible sans aucune référence à l’art du passé, et sans qu’il soit possible de prévoir son avenir.
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005, p. 210.