Posts Tagged ‘Berlin les années vingt’

uriner

décembre 28, 2010

Le marchand d’allumettes qu’il représente en 1920 est un pauvre type, que la guerre a perforé de balles, un estropié qui n’a pas de pieds, pas de bras et, comme si cela ne suffisait pas, il n’a plus d’yeux. Les passants qui circulent en toute hâte sans y prendre garde, ne connaissent que trop ce genre d’individus, et si un teckel s’intéresse à lui, c’est uniquement pour uriner.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 111.

La nuit

décembre 28, 2010

Juste après-guerre, Max Beckmann sondait déjà la réalité avec des mises en scène choquantes comme par exemple dans La nuit de 1919. La nuit jette regard impitoyable dans une pièce saisie par l’horreur. On distingue un groupe d’hommes, dans lequel chacun torture son prochain les membres des corps sont contorsionnés et les traits du visage déraillent, mais ce qui est véritablement troublant, c’est la tranquille normalité dans laquelle s’inscrivent ces sinistres agissements. L’homme au centre de la peinture porte un bandage à la tête et s’emploie en même temps à tordre le bras d’une pauvre créature dont la bouche grande ouverte laisse échapper un cri ; mais cet homme au centre, qui cumule les fonctions de victime et de tortionnaire, montre encore un troisième facette car il fume sa pipe avec une délectation extrême. C’est comme si cette «nuit» pouvait se reproduire toutes les nuits.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 110-111.

pitrerie

décembre 28, 2010

Impossible d’imaginer Dada sans pitreries ; aussi l’origine du mouvement Dada de Berlin, est-elle d’une rafraîchissante absurdité. Le 17 novembre 1918, pendant une messe à la cathédrale de Berlin, Baader se fit remarquer en hurlant «Jésus-Christ, on n’en a rien à faire», a près quoi il fut bien entendu écarté du lieu. Puis loin de laisser reposer l’incident, il le propulsa au contraire dans les sphères du débat public à coup de lettres de lecteur. Dada fut la première manifestation d’une idée qui s’imposera tout particulièrement à Berlin, l’idée que la culture du spectacle n’a absolument rien à voir avec la qualité de ce qui peut éventuellement être représenté, mais qu’elle diffuse massivement ce simple constat : «J’existe, je suis celui qui a de l’importance». Dada a anticipé certains mécanismes qui accompagnent la célébrité aujourd’hui encore. Le fait que la part de non-sens soit de nos jours plus importante que la part de sens transmis c’était le fondement de la réflexion.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 99.

reportages réalistes

décembre 27, 2010

Le monde de Grosz décrit les dernières heures de la petite bourgeoisie et du militarisme, du fricotage et de la criminalité entretenues par les caisses de l’État. Grosz dépasse le domaine de Dada, car le refus et le retrait du sens cèdent leur place à la dénonciation, à une franchise abrupte, voire à l’agressivité. Hannah Arendt, la philosophe et théoricienne de l’État totalitaire, se souvint ainsi de l’époque des années vingt où elle était étudiante : «Durant ces années-là, les jeunes étudiants ne lisaient pas les journaux. Nous ne percevions par les caricatures de George Grosz comme de la satire, mais comme des reportages réalistes. Nous connaissions ces types-là ; ils vivaient tout autour de nous.» (cité d’après Gay 2004, p. 99).

Rainer Netzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 104.

vérité toute nue

décembre 27, 2010

Pour un public ouvert comme Hannah Arendt ou Kurt Tucholosky, les images de Grosz montraient une vérité toute nue et témoignaient de la froide réalité du monde dans lequel ils vivaient. Une chronique de Tucholsky datée de 1924, Visage, esquisse le portait de l’un de ces contemporains : «se sent en parfait harmonie avec le pays, la majorité et la communauté du peuple […] Est pourtant d’une grande correction et politesse, simple bougeois vers le haut. Vers le bas : même noblesse. Représente. Fait carrière. Deviendra sans doute une huile dans quelque temps, ministre plénipotentiaire, directeur généra, secrétaire d’État, Dieu sait quoi. L’Allemagne? L’Allemagne.» (cité d’après Tucholsky 2005, p. 1183). Ce petit texte de Tucholsky sur le visage et accompagné d’une dédicace: «Pour George Grosz, qui nous a appris à les voir».

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, pp. 104-107.