Posts Tagged ‘douleur’

symbolisme du geste

juillet 13, 2012

Le consonantisme et le vocalisme de la langue font partie du symbolisme du geste, car, privées du ton fondamental, voyelles et consonnes ne sont que des positions des organes, c’est-à-dire des gestes : ce qui sert de fondement au symbolisme du geste est la tonalité, écho du plaisir et de la douleur*. Aussi la langue écrite est-elle encore plus limitée dans son pouvoir d’expression que la langue orale, sonore, où les « intervalles, les rythmes, l’allure, l’accentuation sont symboliques du contenu émotif qu’il s’agit d’exprimer ». La musique est dont un « supplément » nécessaire aux paroles, « signes les plus défectueux qui soient », pour que celles-si puissent exprimer des sentiments.

Sarah Kofman, Nietzsche et la métaphore, Paris, Payot, 1972, p. 18.

* CF. La Naissance de la tragédie et fragments divers, in Naissance de la tragédie. N.R.F., p. 225.

étranger

mars 20, 2012

Des millions traversent et transgressent des multitudes de barrières et de frontières à la fois internes et externes, géopolitiques, éthiques, spirituelles, celles qui séparent les zones publiques des zones privées. Les identités et les communautés se désintègrent, se multiplient, se croisent, se modifient et reforment des configurations, ce qui déclenche une peur violente parmi ceux qui se sentent envahis par d’autres, qui eux-mêmes importent une douleur muette.

Notre étrangéité est une condition curieusement familière, secrète, inquiétante qui, lorsqu’elle est gardée dans les cavernes idéologiques de notre subjectivité peut exploser en présence du véritable étranger. Pour ceux qui sont en transit, l’état d’étranger s’accumule comme une expérience sans forme, sans langage, sans expression et sans droit à être communiquée, et devient ainsi un dangereux symptôme psychique. La vrai frontière à remettre en question se situe entre la douleur muette et le désespoir du véritable étranger. L’art peut-il servir à passer ce type de frontière de façon expressive, interrogative et révélatrice ? Peut-il être une source d’inspiration, une provocation, le premier acte d’une nouvelle forme de communication dans une communauté non xénophobe ? Peut-on concevoir ou créer une performance, un objet icone, un environnement ou un équipement symboliques dans le but de lancer un tel projet psycho-culturel conciliatoire ?

Krzysztof Wodiczko, Art public, art critique, Textes, propos et documents, Trad. de l’anglais par Michelle Herpe-Volinsky et du polonais par Wojciech Kolecki, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1995, p. 221.

souci

décembre 11, 2011

Dans la majorité des cas l’heure de la libération n’a été ni joyeuse ni insouciante : pour la plupart, elle sonnait sur un fond tragique de destruction, de massacre et de souffrance. En ce moment où nous nous sentions redevenir des hommes, c’est-à-dire des êtres responsables, les soucis des humains étaient de retour : pour la famille dispersée ou disparue, pour la douleur universelle autour de nous, pour notre propre affaiblissement, qui nous paraissait incurable, définitif, pour la vie qu’il nous fallait recommencer au milieu des décembres, et souvent seuls. « Plaisir enfant du souci » non : souci, enfant du souci !

Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, Traduit de l’italien par André Maugé, Paris, Gallimard, 1989, p. 69.

décembre 28, 2010

Max Beckmann, The Descent from the Cross, Oil on canvas, The Museum of Modern Art, New York, 1917.

darksilenceinsuburbia:

The Descent from the Cross, 1917 by Max Beckmann

supplice

décembre 11, 2010

Je me suis fait dire qu’afin de prolonger le supplice, le condamné recevait une dose d’opium. Dumas insiste sur l’apparence extatique des traits de la victime. Il est bien entendu, je l’ajoute, qu’un indéniable apparence, sans doute, en partie du moins, liée à l’opium, ajoute à ce qu’a d’angoissant l’image photographique. Je possède, depuis 1925 un de ces clichés. Il m’a été donné par le Docteur Borel, l’un des premiers psychanalyste français. Ce cliché eut un rôle décisif dans ma vie. Je n’ai pas cessé d’être obsédé par cette image de la douleur, à la fois extatique (?) et intolérable. J’imagine le parti que, sans assister au supplice réel, dont il rêva, mais qui lui fut inaccessible, le marquis de Sade aurait tiré de son image : cette image, d’une manière ou de l’autre, il l’eût incessamment devant les yeux. Mais Sade aurait voulu le voir dans la solitude, au moins dans la solitude relative, sans laquelle l’issue extatique et voluptueuse est inconcevable.

Georges Bataille, Les larmes d’éros, Jean-Jacques Pauvert, 1961, 1971, p. 121.

horreur

décembre 10, 2010

Pour aller au bout de l’extase où nous nous perdons dans la jouissance, nous devons toujours en poser l’immédiate limite : c’est l’horreur. Non seulement la douleur des autres ou la mienne propre, approchant du moment où l’horreur me soulèvera, peut me faire parvenir à l’état de joie glissant au délire, mais il n’est pas de forme de répugnance dont je ne discerne l’affinité avec le désir. Non que l’horreur se confonde jamais avec l’attrait, mais si elle ne peut l’inhiber, le détruire, l’horreur renforce l’attrait! Le danger paralyse, mais moins fors, il peut exciter le désir. Nous ne parvenons à l’extase, sinon, fût-elle lointaine, dans perspective de la mort, de ce qui nous détruit.

Georges Bataille, Madame Edwarda, Version illustrée par Jean Fautrier, 1945, Version nouvelle préfacée par Geroges Bataille 1956 et illustrée par Hans Bellmer 1965, Pauvert, Paris, 2001, p. 12.