Posts Tagged ‘foule’

mass « médiatisée »

août 30, 2012

Duchamp ne prend pas, même par dérision, la posture de l’expert passéiste, il prend par anticipation la posture du profane de l’avenir. Il place l’artiste, l’auteur, dans la position énonciative du spectateur et de ce spectateur d’aujourd’hui qui n’appartient plus à la foule au sens de Baudelaire, mais de la masse au sens que ce mot a dans l’expression mass-média, à la mass « médiatisée »*.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 116.
* Walter Benjamin décrit ainsi la foule baudelairienne : « Il ne peut être question d’une classe, d’une collectivité, quelle qu’en soit la structure. Il s’agit simplement de la foule amorphe des passants, du public de la rue » (Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot, Paris, 1982, p. 163). Or la mass telle qu’on peut l’entendre aujourd’hui n’est pas amorphe. Elle est au contraire « médiatisée » sans arrêt par les mass-media dont c’est du reste la fonction principale : celle de quadriller la foule amorphe et de la différencier selon des réseaux sémiotiques à mailles fines qui sont autant de réseaux d’imposition et de circulation du pouvoir : classe sociale, classe d’âge, catégorie professionnelle, niveau et type d’éducation, affiliation politique, classe de loisirs (au sens de Veblen), modes de consommation, conduites culturelles. Au Salon de peinture du XIXe siècle, le spectateur profane appartenant à la foule se trouvait à la fois sollicité et exclu : son jugement, jugé d’avance vulgaire et philistin, devait justement faire la différence entre les experts et lui. Dans les institutions artistiques d’aujourd’hui, dont Beaubourg offre le paradigme « mass-médiatique », le profane appartenant à la masse se trouve inclus et pour ainsi dire affublé d’un comportement culturel qui le classe et le canalise, mais il n’est plus sollicité. Son indifférence même indiffère l’institution. Quelles que soient les bonnes intentions pédagogique d’un appareil comme Beaubourg, sa fonction réelle est de produire « du spectateur » dans un réseau sémiotique qui n’est que nominalement couvert par la spécificité du mot « art ». Mais cette production n’a pas encore atteint le niveau de réification que l’on trouve ailleurs dans la production de marchandises. Elle comprend un moment rituel d’authentification qui, dans le cas de Beaubourg, s’est accompli massivement à travers son inauguration, comme par hasard, par une rétrospective Marcel Duchamp. (cf. mon article « La condition Beaubourg », Critique n° 426, novembre 1992.) La posture du profane de l’avenir que Duchamp prend par anticipation, c’est celle du visiteur occasionnel de Beaubourg qui prouve qu’il est un amateur d’art en produisant son billet d’entrée.

art de mass

août 29, 2012

L’auteur duchampien n’est pas, comme l’artiste Dada, le prêtre de l’anti-culte, le professionnel de l’anti-métier, le traditionaliste de l’anti-tradition ou le gardien dérisoire de l’anti-loi. Il ne s’autorise pas à faire n’importe quoi, il s’anticipe comme un sujet de la loi parmi d’autres, assujetti comme n’importe qui à l’anti-loi du n’importe quoi. C’est comme si Duchamp avait saisi les raison historiques du dadaïsme et avait dépossédé les artistes Dada de leur illusion d’être les auteurs de leur libération. Ce qui était dérisoire, c’était de croire qu’on peut s’autoriser du n’importe quoi alors que le n’importe quoi est déjà la loi, de croire qu’on se libère en profanant alors que la profanation a déjà eu lieu, de croire qu’il est opportun de tourner en dérision les gardiens de l’ancienne loi — de l’académisme, autrement dit, du peu qui reste de l’ordre aristocratique et religieux — alors que le nouvel impératif artistique est déjà — c’est tout le sens de l’utopie moderne à laquelle Duchamp ne souscrit pas naïvement mais qu’il expose — la production d’un art de mass pour une société profane qui a déjà entrepris la mass-médiatisation de la foule baudelairienne.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 117.

Salon

août 18, 2012

Ce n’est pas un hasard s’il se fait que l’avant-garde pictural est né en France, au milieu des querelles du Salon, car seule la France a inventé cette curieuse institution. Émanation de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, laquelle — et c’est important — jouissait d’un quasimonopole sur l’éducation des artistes et donc sur leur accès à la profession, le Salon n’était à ses débuts que l’occasion d’une exposition où les membres de l’Académie se montraient leurs travaux les uns aux autres, dans un esprit d’émulation. Il fut bientôt ouvert au public — dès 1763, en réalité — et à partir de là, une véritable bombe à retardement fut plantée dans le paysage artistique français. Voici que la production des artistes vivantes, filtrée — et aussi est important — par un jury de pairs mandatés par l’Académie, fut régulièrement exposée au jugement de la foule, du peuple, du tout-venant. Le peuple est allé au Salon, c’est cela la bombe, en nombres qui croissent de façon exponentielle. Didrot parle de 20000 visiteurs au Salon de 1765. Pour l’année 1783, l’estimation oscille selon les sources entre 100000 et 600000. On estime à un million le nombre de visiteurs au Salon de 1831, un chiffre qui dépasse celui de la population entière de Paris. Dès le début, le mélange des classes sociales y était ahurissant, et vers le milieu du XIXe siècle, quand naît l’avant-garde en peinture, l’accès du Salon à tous, toutes classes mélangées, est un fait accompli. « J’ai vu des bourgeois, des ouvriers et même des paysans », dit Zola. Il n’est pas un peintre en France qui, sachant que sa carrière dépend de son succès au Salon, n’est pas saisi de ce vertige angoissant : pour qui peint-il ?
Thierry de Duve, « Que faire de l’avant-garde ? », in Question d’histoire de l’art, Centre Pompidou, Paris, 2011, pp. 16-17.

âmes des foules

août 3, 2012

Si, gardant à l’esprit les descriptions complémentaire des auteurs traitant de la psychologie des foules, on jette un regard sur la vie de l’homme isolé d’aujourd’hui, on peut bien, devant les complications qui s’offrent ici, perdre le courage d’en présenter un résumé. Chaque individu pris isolément est une partie constitutive de différentes foules, lié par identification de différents côtés, et a édifié son idéal du mi selon les modèles les plus divers. Chaque individu pris isolément participe donc de plusieurs âmes des foules, âme de sa race, de sa classe, de sa communauté de foi, de son État, etc., et peut par surcroît accéder à une parcelle d’autonomie et d’originalité.

Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi », 1921, in Essais de psychanalyse, Traduit de l’allemand sous la responsabilité d’André Bourguignon, Petit bibliothèque payot, Paris, 1981, p. 221.

août 3, 2012

Loin du Vietnam, 1967.

pacte

juin 16, 2012

Quand les peintres exposent dans des conditions où ils ont indistinctement affaire à tout le monde et n’importe qui, que deviennent les conventions du métiers ? Pour le comprendre, il faut mettre l’accent sur la convention non règle téchnico-esthétique mais comme pacte. Si les partenaires du pacte sont flous, le pacte est incertain, et les artiste n’en sont pas responsables. Ils sont seulement responsables de ne pas se tromper d’époque, c’est-à-dire, avant tout, de comprendre que toute convention picturale brisée signifie un pacte rompu avec une faction du public en même temps qu’une demande de pacte nouveau adressée, le cas échéant, à une autre faction. Les peintres ont tous affaire au public mélangé du Salon ; aucun ne peut se dire qu’il plaira à tout le monde à la fois ; tous peignent avec une foule anonyme aux réactions imprévisibles qui les observe par-dessus leur épaule. Ils vivent les attentes contradictoires de cette foule comme des desiderata esthétiques, des goût et préjugés qui leur viennent des autre, mais ils les vivent pinceaux en mains et devant leur toile. Ils vivent donc esthétiquement, avec leur sensibilité, et par la médiation des contraintes techniques de leur métier, la nécessité de conclure un pacte avec un destinataire indéterminé et divisé par les conflits sociaux. C’est donc sous la pression esthétique de ses contraintes techniques qu’un artiste digne de ce nom accepte ou brise une convention, c’est-à-dire le pacte.

Thierry de Duve, « Que faire de l’avant-garde ? », in Question de l’histoire de l’art, Paris, Centre Pompidou, 2011, p. 17.

kitsch

mars 4, 2012

D’une part, la crise de l’art contemporain est, pour partie, rapportée à l’irruption des goûts populaires dans un domaine traditionnellement gouverné par des goûts d’élite : Warhol, encore lui, est l’artiste exemplaire de cette invasion du high art ( art haut ou art d’élite) par le low art (art populaire ou art « bas »), des arts du musée par la publicité ou les arts appliqués. Jean-Philippe Domecq découvre aussi « un échantillon de bêtise moderne » dans « la fortune critique d’Andy Warhol »*. On dénonce alros l’envahissement du musée par les foules, les pèlerinages aux expositions, la substitution des valeurs du kitsch à celles des connaisseurs.

Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, Paris, Quadrige / PUF, 1997, pp. 109-122.

vitre

décembre 8, 2011

« La salle sentait encore la peinture fraîche, tout était agréablement illuminé, délimité par des barrières, fourré derrière des vitres, l’ordre transcendant, l’apparat scientifique et une délicate abstraction constituaient dans cet environnement sécurisant une exposition étrange, voire honteuse : accessoires de romans d’épouvante, marché aux cauchemars, collection d’instruments désuets d’époques révolues, bazar de curiosités. Il regardait et ne connaissait rien. Seul l’usage eût pu ramener ces objets à la vie, seule l’expérience, mettre à l’épreuve leur réalité, or là, il n’y avait d’autre vérité que la foule et la touffeur de la salle – mais celle-ci était-elle suffisamment étouffante et y avait-on entassé une foule assez compacte ? » (71)

Imre Kertész, Le Chercheur de traces, 1977, in Catherine Coquio, « Envoyer les fantômes au musée ? » Critique du « kitsch concentrationnaire » par deux rescapés : Ruth Klüger, Imre Kertész, 2007, via gradhiva.revues.org

août 19, 2011

George Grosz, The City, 100 x 102 cm, Oil on canvas, 1916-1917, Thyssen-Bornemisza Collection, Madrid, Spain.

stronder:

etctatic:

imseeingthingstoo:

via www.museothyssen.org

Artist: Georg Grosz. One of the greatest artists of the 20:th century.

(via headfullofid)

février 14, 2011

Jan Saenredam, La caverne de Platon, 1604, gravure d’après une peinture de Cornelis Cornelisz van Haarlem, via upload.wikimedia.org