Posts Tagged ‘illusion’

art de mass

août 29, 2012

L’auteur duchampien n’est pas, comme l’artiste Dada, le prêtre de l’anti-culte, le professionnel de l’anti-métier, le traditionaliste de l’anti-tradition ou le gardien dérisoire de l’anti-loi. Il ne s’autorise pas à faire n’importe quoi, il s’anticipe comme un sujet de la loi parmi d’autres, assujetti comme n’importe qui à l’anti-loi du n’importe quoi. C’est comme si Duchamp avait saisi les raison historiques du dadaïsme et avait dépossédé les artistes Dada de leur illusion d’être les auteurs de leur libération. Ce qui était dérisoire, c’était de croire qu’on peut s’autoriser du n’importe quoi alors que le n’importe quoi est déjà la loi, de croire qu’on se libère en profanant alors que la profanation a déjà eu lieu, de croire qu’il est opportun de tourner en dérision les gardiens de l’ancienne loi — de l’académisme, autrement dit, du peu qui reste de l’ordre aristocratique et religieux — alors que le nouvel impératif artistique est déjà — c’est tout le sens de l’utopie moderne à laquelle Duchamp ne souscrit pas naïvement mais qu’il expose — la production d’un art de mass pour une société profane qui a déjà entrepris la mass-médiatisation de la foule baudelairienne.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 117.

art occidental

août 15, 2012

Giotto inventa l’art occidental, dit-on, parce que, premier peintre à refuser d’imiter ses prédécesseurs, il ne s’inspira d’aucun autre modèle que de la nature, “maîtresse des maîtres”. L’histoire pourrait se résumer ensuite à une généalogie, pareille aux généalogies bibliques : tribu par tribu, qui engendra qui Van Eyck y jouerait le rôle d’un père fondateur, avec son miroir bombé des Epoux Arnolfini, véritable manifeste de la technique à l’huile. Inventeur présumé de la perspective, son contemporain Brunelleschi — qui n’était pas peintre mais architecte — n’y aurait pas une descendance moins grande. Sa démonstration aurait d’ailleurs fait appel à un miroir également : regardant dans un miroir la vue qu’il avait peintre de la place San Giovanni, à Florence, le spectateur pouvait, paraît-il, en levant ou en abaissant ce miroir, comparer tableau et paysage réel de façon à vérifier l’excellence de l’illusion, c’est-à-dire l’exactitude de la méthode qu’il avait mise au moint (Vasari, Vite)
Serge Bramly, «Fragments de miroirs», Photo dessin dessin photo, Actes sud, 1994, pp. 5-6.

montrabilité

Mai 21, 2012

En confondant l’objet et le sujet de la représentation (en intégrant le regard à sa composition), la peinture se voyait emportée par une logique paradoxale : remettre en cause l’habituel partage qui s’établit généralement de part et d’autre de la toile : imposer entre le regard du peintre et celui du spectateur – comme au théâtre, entre l’« espace de la scène » et « le lieu de l’action » – une solution de continuité. « Dans ce domaine », écrit Robert Klein « les deux partis opposés s’affrontent sur la question du rapport entre l’espace fictif et l’espace du spectateur. Plus la continuité est parfait, plus la perspective devient un facteur d’illusion dramatique bien plutôt qu’un facteur de composition formelle*. » On peut naturellement soupçonner qu’en commençant à s’intéresser non seulement aux choses mais à leur condition de visibilité (ou de « montrabilité »), la modernité rencontrera elle aussi ce genre d’hésitations entre ce qui serait d’une part le Réel et d’autre part sa fiction. Dès lors qu’elle confondra dans un même geste et l’objet et le sujet de sa présentation, elle retrouvera ce « quelque chose » que Freud, en le considérant comme « indéfinissable », choisissait d’appeler une « absence », mais que pour notre part, en en faisant le signe d’une essentielle discrétion, nous préférerons évoquer comme l’un de ces grands fonds, où viendrait se perdre, et se confondre la loi de l’objectivité.

Simon de Cosi, « Passif de la modernité », in Feux pâles, Catalogue de l’exposition, capc-musée d’art contemporain, Bordeaux, 1990, pp. 85-86.

* Cf. Robert Klein, op. cit. p. 275.

inversion

novembre 23, 2011

C’est bien là la vérité du concept de spectacle tel que Guy Debord l’a fixé : le spectacle n’est pas l’étalage des images cachant la réalité. Il est l’existence de l’activité sociale et de la richesse sociale comme réalité séparée. La situation de ceux qui vivent dans la société du spectacle est alors identique à celle des prisonniers attachés dans la caverne platonicienne. La caverne est le lieu où les images sont prises pour des réalités, l’ignorance pour un savoir et la pauvreté pour une richesse. Plus les prisonniers s’imaginent capables de construire autrement leur vie individuelle et collective, plus ils s’enlisent dans la servitude de la caverne. Mais cette déclaration d’impuissance fait retour sur la science qui la proclame. Connaître la loi du spectacle revient à connaître la manière dont il reproduit indéfiniment la falsification qui est identique à sa réalité. Debord a résumé la logique de ce cercle en une formule lapidaire : « Dans le monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux*. » Ainsi la connaissance de l’inversion appartient elle-même au monde inversé, la connaissance de l’assujettissement au monde de l’assujettissement. C’est pourquoi la critique de l’illusion des images a pu être retournée en critique de l’illusion de réalité, et la critique de la fausse richesse en critique de la fausse pauvreté.

Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La fabrique édition, 2008, pp.50-51.

* Guy Debord, La Société du spectacle, op. cit., p. 6.

théisme déguisé

novembre 13, 2011

L’art est aussi une illusion, en contraste avec la réalité, mais qui se donne comme telle, et par là est moins dangereux. Il l’est moins aussi parce qu’il n’atteint d’une manière permanente que les artistes. S’il ne peut lutter contre le déplaisir, il procure néanmoins un effet psychique non négligeable à cause de l’importance de l’imagination dans la vie psychique. Mais dans l’art se trouve aussi plus subrepticement maintenue l’illusion théologique et ainsi, indirectement, l’art, quoique toujours athée, est un soutien de la religion. L’athéisme, et c’est le cas ici de l’art, peut être une forme de théisme déguisé*.

Sarah Kofman, L’Enfance de l’art, Paris, Petite bibliothèque payot, 1970, p.197.

* Il serait intéressant de rapprocher cela des textes où Nietzsche montre qu’il y a des manières multiples de tuer Dieu et que certaines ne font que répéter l’attitude théiste. Cf. par exemple, Par-delà le bien et le mal, § 53 : « Pourquoi être athée de nos jours ? Dieu le « Père » est réfuté à fond, de même le « Juge », le « Rémunérateur », on a réfuté son « libre arbitre » ; il ne nous entend pas et s’il nous entendait, il serait incapable de nous répondre. Le pire c’est qu’il semble incapable de s’exprimer clairement. Est-il obscur ? C’est la conséquence que j’ai tirée de nombreuses conversations, tantôt interrogeant, tantôt écoutant, et je vois là la cause de la décadence du théisme en Europe : il me semble à vrai dire que l’instinct religieux est en vigoureuse recrudescence, mais qu’il refuse avec une méfiance profonde l’apaisement que lui offre justement le théisme. »

juin 6, 2011

Lovis Corinth, The temptation of Saint Anthony, 1897, via gandalf’s gallery

juin 6, 2011

Jan Mandijin, The temptation of Saint Anthony, Oil on panel, 61.5 x 83.5 cm, Frans Hals Museum, 1550, via wikipedia

s’entre’impliquer

avril 2, 2011

« Signifiant » et « signifié » s’entr’impliquent, tout comme ils impliquent « signe » et « référent ». Il nous est impossible de stipuler ( selon un geste qui est parfois celui de la philosophie analytique) que « signifiant » désormais n’impliquera pas « signifié » comme son corollaire, sous peine, comme Humpty Dumpty, de tomber dans l’illusion du conventionnalisme, et d’oublier qu’on ne la crée. Ce rapport à la langue, qui a toujours commencé avant nous, implique le tout de la déconstruction, et nous y reviendrons plus d’un fois.

Geoffrey Bennington, Jacques Derrida, Jacques Derrida, Éditions du seuil, 1991, p. 36.

mars 18, 2011

austinkleon:

John Berger on the power of captions in Ways of Seeing

illusion

mars 18, 2011

Avouer que pour l’œil humain l’essentiel est invisible, et que, puisque tout est illusion, la théorie scientifique comme l’art ne serait que manipulation de nos illusions, allait à l’encontre de discours politico-philosophiques qui développaient, avec le besoin de convaincre le plus grand nombre, un désir d’infaillibilité et une forte tendance au charlatanisme idéologique. Évoquer publiquement la formation des images mentales, leurs aspects psyho-physiologiques porteurs de leur fragilité et de leurs limites, c’était violer un secret d’État assez comparable au secret militaire puisqu’il recouvrait un mode de manipulation des masses quasi infaillible.

Paul Virilio, La machine de vision, Paris, Galilée, 1988, p. 58.