Lorsque Magritte peint sur une même toile six objets parfaitement reconnaissables, un œuf, une chaussure, un chapeau, une bougie allumée, un verte et un marteau, il calligraphie sous chacun d’eau des « titres » nullement rebondants : « l’Acacia, la Lune, la Neige, le Plafond, l’Orage, le Désert » (La Clef des Songes, 1930). L’artiste a multiplié les confrontations des mots avec les images, et Michel Foucault analysa la complexité de l’énoncé « Ceci n’est pas une pipe », inscrit sous une représentation de pipe*. Il est évident que le trouble engendré par l’écart entre ce que nous voyons et ce que nous lisons résulte de la simultanéité de ces deux opérations, habituellement dissociée. Cette « trahison des images** », dont Magritte a donné maints exemples, projette la peinture dans un espace où le pur « rétinien » ne règne pas en maître absolu.
Denys Riout, Qu’est-ce que l’art moderne ?, Paris, Gallimard, 2000, pp. 367-368.
* Cf. Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe, Fata Morgana, 1973.
** Plusieurs œuvres de Magritte répondent à cette titre.