Posts Tagged ‘public’

liste hiérarchise

septembre 9, 2012

Quand nous voyons une œuvre dite d’« art contemporain », nous voyons en fait l’art contemporain dans son ensemble. Il se met en vue lui-même dans son processus de production. il s’expose comme totalité, et totalité bouclée. Arrimé à ses mécanismes de transmission. Ceux-ci ne sont pas cachés : ils s’exhibent, par exemple dans les publications de listes et d’évaluations, supposées aider les producteurs à faire les bon choix, ou à renseigner le public sur les « meilleurs » artistes. Il en est ainsi du Kunst Kompass* qui établit une échelle de notoriété des artistes d’après le degré de reconnaissance qu’ils ont obtenu dans l’année (nombre d’expositions, privées ou collectives ; achats par les musées, par les collectionneurs ; en somme, degré de visibilité de ce qui est déjà rendu visible). Cette liste ainsi confirmée prédétermine les choix futurs… qui ne sont autres que ceux déjà opérés par les producteurs, puisque ce sont eux qui ont mis en vue les artistes que la liste hiérarchise.
Anne Cauquelin, L’art contemporain, PUF, Paris, 1992, pp. 54-55.
* Pour une analyse détaillé du Kunst Kompass, voir Annie Verger, « L’art d’estimer l’art. comment classer l’incomparable ? », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°s 67-68, mars 1987, p. 105-121.

establishment artistique

août 24, 2012

Avant les dadaïstes, aucun artiste n’eut jamais le sentiment d’abandonner d’un coup toutes les règles de son art, et aucun artiste ne s’est revendiqué du droit de faire n’importe quoi. Quant au grand public — cette foule dont Baudelaire perçoit si bien la montée historique —, invité de fraîche date à se mêler des choses de l’art il se rue au Salon, surtout si c’est celui des Refusés, et son intérêt montre bien que ce n’est pas le sentiment du n’importe quoi qui l’y pousse. Dans les Casseurs de pierres ou la Botte d’asperges, le peuple pouvait dans une certaine mesure se reconnaître et percevoir des enjeux auxquels il était intéressé. Que les paysans de Flagey ou les ouvriers d’Ornans puissent devenir sujets de peinture, qu’une simple botte d’asperges puisse exposer sa trivialité sans aucun des artifices de mise en scène qui, même encore chez Chardin, lui conféraient classe et distinction, voilà quelque chose qui ne signifiait pas n’importe quoi pour tout le monde. C’est l’establishment artistique qui s’émut du réalisme et de ses excès de laideur et de vulgarité, de la platitude des images de Manet, de l’absence de dessin des Cézanne, de chaos cubiste. Et ce sont les critiques et les jurys qui firent tout pour susciter dans le public la peur du n’importe quoi et alimenter un scandale nourri de leur seule indignation.
Thierry de Duve, Au nom de l’art, Les éditions de minuit, Paris, 1989, p. 108.

dernier tabou

août 21, 2012

Avant Courbet, une peinture était appréciée et jugée selon sans conformité aux normes et aux conventions en vigueur. Les critères esthétique étaient indissociables des règles sociales, morales, voire religieuses, constituant une sorte de pacte intangible entre l’artiste et le public — et « monde de l’art » de l’époque.
L’Origine du monde brise ce pacte. Un tel tableau ose l’affrontement, non pas avec la représentation — ici figurative et réaliste — mais avec les règles qui, jusqu’alors, déterminaient les critères d’évaluation. Manet déjà s’y était risqué avec Olympia et Le Déjeuner sur l’herbe. Courbet transgresse de façon irréversible le dernier tabou. Au-delà de la fascination qu’exercent les hanches et le sein de la femme troquée, sans tête, ni bras, ni jambe, ce sont bien les normes qui se trouvent mises en cause, celles-là mêmes qui autorisent la mise au jour d’un tableau que leur stricte observance aurait dû normalement interdire.
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005. pp. 51-52.

Salon

août 18, 2012

Ce n’est pas un hasard s’il se fait que l’avant-garde pictural est né en France, au milieu des querelles du Salon, car seule la France a inventé cette curieuse institution. Émanation de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, laquelle — et c’est important — jouissait d’un quasimonopole sur l’éducation des artistes et donc sur leur accès à la profession, le Salon n’était à ses débuts que l’occasion d’une exposition où les membres de l’Académie se montraient leurs travaux les uns aux autres, dans un esprit d’émulation. Il fut bientôt ouvert au public — dès 1763, en réalité — et à partir de là, une véritable bombe à retardement fut plantée dans le paysage artistique français. Voici que la production des artistes vivantes, filtrée — et aussi est important — par un jury de pairs mandatés par l’Académie, fut régulièrement exposée au jugement de la foule, du peuple, du tout-venant. Le peuple est allé au Salon, c’est cela la bombe, en nombres qui croissent de façon exponentielle. Didrot parle de 20000 visiteurs au Salon de 1765. Pour l’année 1783, l’estimation oscille selon les sources entre 100000 et 600000. On estime à un million le nombre de visiteurs au Salon de 1831, un chiffre qui dépasse celui de la population entière de Paris. Dès le début, le mélange des classes sociales y était ahurissant, et vers le milieu du XIXe siècle, quand naît l’avant-garde en peinture, l’accès du Salon à tous, toutes classes mélangées, est un fait accompli. « J’ai vu des bourgeois, des ouvriers et même des paysans », dit Zola. Il n’est pas un peintre en France qui, sachant que sa carrière dépend de son succès au Salon, n’est pas saisi de ce vertige angoissant : pour qui peint-il ?
Thierry de Duve, « Que faire de l’avant-garde ? », in Question d’histoire de l’art, Centre Pompidou, Paris, 2011, pp. 16-17.

art

août 14, 2012

Le premier dans le vidéo-art, Jean-Christophe Averty, s’en est avisé à temps : « Je ne me suis jamais pris pour un artiste. J’ai horreur du mot. Je suis un artisan. » Se définir modestement comme un chercheur-producteur, quand on est un grand inventeur, dédore le blason mais entretien la flamme. Comme si l’instinct de conservation du créateur passait par le refus de la conservation en milieu clos. Souvenons-nous que l’Antiquité s’est mise à entreposer les statues dans des lieux publics (la pinacothèque étant un lieu privé, au départ un simple vestibule d’atrium) lorsqu’elle a cessé d’y croire. Belle sagesse : « Le mot art, ça me fait froid dans le dos, ça se termine toujours à coups de marteau dans la salle de vente.* »
Qu’Averty se rassure : une création imaginaire facilement copialbe et difficilement conservable a peu de chances de tenter les musées et les commissaires-priseurs.
Régis Debray, Vie et mort de l’image, Gallimard, Paris, 1992, pp. 316-317.
* Inverview de Jean Christophe Averty à Cartes sur câbles, automne, 1991, Bruxelles.

anti-art

août 13, 2012

Les formes « anti-art » s’attaquent au premier chef à l’art en tant que profession, à la séparation artificielle de l’artiste et du public, ou du créateur et du spectateur, ou de la vie et de l’art ; elles sont contre les formes artificielles, les modèles et les méthodes de l’art lui-même ; contre la recherche du but, de la forme et du sens de l’art. L’anti-art est la vie, la nature, la réalité vrai — il est un, et tout. La pluie qui tombe est anti-art, la rumeur de la foule est anti-art, un éternuement est anti-art, un vol de papillon, les mouvement des microbes sont anti-art. Ces choses sont aussi belles et méritent autant de considération que l’art. Si l’homme pouvait, de la même façon qu’il ressent l’art, faire l’expérience du monde, du monde concret qui l’entoure (depuis les concepts mathématiques jusqu’à la matière physique) il n’y aurait nul besoin d’art, d’artistes et autres éléments « non productifs »*.
Denys Riout, Qu’est-ce que l’art moderne ?, Gallimard, Paris, 2000,
* George Maciunas, « Néo-Dada en musique, théâtre, poésie et beaux-arts » (1662), trad. dans le cat. de l’exposition L’esprit Fluxus, Marseille, musée de marseille, 1995, p. 157.

renégocier

août 12, 2012

En brisant la convention (la règle), les artistes d’avant-garde provoquent la public à prendre acte de fait que la convention (le pacte), étant incertaine, est en pratique déjà brisée et doit être renégociée, cas par cas. Réciproquement, en brisant la convention (le pacte), les artistes d’avant-garde font des conventions (des règles) de leur métier le lieu esthétique de la négociation. C’est ainsi le peintre d’avant-garde soumet l’autre à qui il adresse son œuvre au défi de renégocier les conventions technico-esthétiques du médium en acquiesçant à la convention brisée ou abandonnée, c’est-à-dire, en nouant un pacte nouveau autour d’un pacte rompu. Plutôt que de demander à son public d’entériner la qualité de son tableau à l’intérieur des conventions existantes qui, à tel ou tel moment de l’histoire, définissent ce que doit être un tableau, le peintre d’avant-garde lui demande de faire porter son jugement esthétique sur ces conventions mêmes. De conclure un pacte à propos d’un pacte. Cette demande n’a pas d’autre moyen de s’exprimer que la transgression, et il suffit que le jury, mandaté par l’Académie pour représenter la corporation des peintres auprès du public et désigner à ce dernier l’aire conventionnalisée à l’intérieur de laquelle il est inventé à exprimer son appréciation, recule devant le teste qui lui est présenté pour qu’il se retrouve face à un dilemme qui ne se résout plus par un jugement de goût (ce tableau est beau, ou laid) mais prend la forme d’un tout ou rien (ceci est, ou n’est pas, un tableau ; ceci est, ou n’est pas, de la peinture)
Tierry de Duve, « Que faire de l’avant-garde ? » in Question d’histoire de l’art, Paris, Centre Pompidou, 2011, p. 18.

août 7, 2012

trois objectif de Bauhaus

juillet 30, 2012

Le premier objectif de l’école était de sauver tous les arts de l’isolement dans lequel chacun d’eux — prétendait-on — se trouvait et d’inciter les artisans, les peintres et les sculpteurs de l’avenir à créer des projets combinant tous leur talents. Ces projets seraient des constructions car, ainsi que le déclarait la première phase du Manifeste, « L’objectif suprême de toute activité créatrice est l’architecture. » Le deuxième objectif était d’élever le statut de l’artisanat au même niveau que celui des « beaux-arts ». « Il n’y a pas de différence essentielle entre l’artiste et l’artisan, proclamait le Manifeste. L’artiste est un artisan exalté… Créons donc une nouvelle guide d’artisans sans les distinctions de classe qui dressent une barrière honteuse entre l’artisan et l’artiste.»

Le troisième objectif, moins clairement défini que les deux premiers, mais qui prit de plus en plus d’importance dans la vie du Bauhaus, était d’établir « un contact constant avec les dirigeants des métiers manuels et des industries du pays ». Ce n’était pas seulement un acte de foi, mais une question de suivie économique. Le Bauhaus espérait se libérer progressivement de la dépendance des subventions publique en vendant ses produits et ses créations au public et l’industrie. En même temps, le contact avec le monde extérieur éviterait à l’école de s’enfermer dans une tour d’ivoire et préparerait ses étudiants à la vie.

Frank Whitford, Le Bauhaus, Traduit de l’anglais par Catherine Ter-Sarkissian, Thames & Hudson, 1989, pp. 11-12.

juillet 28, 2012

chromaticities:

Iannis XENAKIS. Study for Terretektorh (distribution of musicians), 1965    
Diagram for an 88-member orchestra scattered among its audience