Posts Tagged ‘qualité’

comportement sociaux

août 27, 2012

Pour Rumohr, l’œuvre d’art n’est pas seulement la matérialisation ou la métaphore d’une idée : elle fait partie en tant que telle du tissu des activités sociales, elle réagit et participe à la vie de la communauté : « L’art obéit aux même lois que toute autre activité libre de l’esprit ; les mêmes règles sous-tendent son jugement. Donc, les mêmes considérations doivent guider notre évaluation du mérite ou de l’absence de mérite des œuvre d’art […] que notre estimation de la qualité ou de l’absence de qualité des autres production humaines. En art, comme dans la vie en général, l’énergie, l’intensité, la portée, la bonté et la douceur, la précision et la clarté du but que l’on se donne prétendent à juste titre à notre approbation. » Rumohr observe par exemple que Giotto fut un innovateur en ce qui concerne la vitalité de ses images, et que c’est pour cette raison qu’il s’éloigna des idées de la tradition chrétienne. Il en vient à s’intéresser à ce qui fonde l’originalité des œuvres d’art en s’appuyant sur la personnalité de l’artiste. Ses méthodes d’historien lui font privilégier aussi les facteurs économiques et sociaux : pratiques commerciales, modes d’attribution des commandes publiques, relation des artistes avec la commanditaires, procédés techniques. Il est à l’origine des méthodes de la recherche moderne en histoire de l’art. Pour Hegel, l’art est un produit de la pensée discursive, pour Rumohr et son école, il est bien davantage le résultat des comportements sociaux.
Jean-Luc Chalumeau, Les théories de l’art, Gallimard, Paris, 1992, pp. 79-80.

renégocier

août 12, 2012

En brisant la convention (la règle), les artistes d’avant-garde provoquent la public à prendre acte de fait que la convention (le pacte), étant incertaine, est en pratique déjà brisée et doit être renégociée, cas par cas. Réciproquement, en brisant la convention (le pacte), les artistes d’avant-garde font des conventions (des règles) de leur métier le lieu esthétique de la négociation. C’est ainsi le peintre d’avant-garde soumet l’autre à qui il adresse son œuvre au défi de renégocier les conventions technico-esthétiques du médium en acquiesçant à la convention brisée ou abandonnée, c’est-à-dire, en nouant un pacte nouveau autour d’un pacte rompu. Plutôt que de demander à son public d’entériner la qualité de son tableau à l’intérieur des conventions existantes qui, à tel ou tel moment de l’histoire, définissent ce que doit être un tableau, le peintre d’avant-garde lui demande de faire porter son jugement esthétique sur ces conventions mêmes. De conclure un pacte à propos d’un pacte. Cette demande n’a pas d’autre moyen de s’exprimer que la transgression, et il suffit que le jury, mandaté par l’Académie pour représenter la corporation des peintres auprès du public et désigner à ce dernier l’aire conventionnalisée à l’intérieur de laquelle il est inventé à exprimer son appréciation, recule devant le teste qui lui est présenté pour qu’il se retrouve face à un dilemme qui ne se résout plus par un jugement de goût (ce tableau est beau, ou laid) mais prend la forme d’un tout ou rien (ceci est, ou n’est pas, un tableau ; ceci est, ou n’est pas, de la peinture)
Tierry de Duve, « Que faire de l’avant-garde ? » in Question d’histoire de l’art, Paris, Centre Pompidou, 2011, p. 18.

valeur de figurabilité

juin 15, 2012

Le placement et l’arrangement des objets dans le musée les dote en effet d’une valeur de figurabilité. Qu’il s’agisse d’un fétiche africain, d’un tableau de Rembrandt ou encore d’une araire, l’objet fait potentiellement image, à la fois apparition visuelle et nœud de figures renvoyant à divers ordres de réalité. En ce sens, le ready-made n’est rien d’autre que l’énoncé incarné des conditions minimales par lesquelles un objet accède, au XXe siècle — et jusque à quand ? — à la qualité d’image. Son apparition ne manifeste pas, comme on a pu le croire et voulu le faire croire, l’impossibilité, voire l’interdiction, de peindre ou de sculpter : jamais les praticiens n’ont été aussi nombreux. Elle manifeste le basculement dans un régime des objets où « article ordinaire de la vie » et œuvre d’art traditionnelle dépendent des mêmes conditions de figuration pour devenir image.

Jean-Philippe Antoine, « Une expérience démocratique de l’art ? Du Marcel Duchamp à Joseph Beuys », in Six rhapsodies froides sur le lieu, l’image et le souvenir, Desclée de Brouwer, Paris, 2002, p. 139.

Quand y a-t-il art ?

juin 6, 2012

La littérature esthétique est encombrée de tentatives désespérées pour répondre à la question « Qu’est-ce que l’art ? » Cette question, souvent confondue sans espoir avec la question de l’évaluation en art « Qu’est-ce que l’art de qualité ? », s’aiguise dans le cas de l’art trouvé — la pierre ramassé sur la route et exposée au musée ; elle s’aggrave encore avec la promotion de l’art dit environnemental et conceptuel. Le pare-chocs d’une automobile accidentée dans une galerie d’art est-il une œuvre d’art ? Que dire de quelque chose qui ne serait pas même un objet, et ne serait pas montré dans une galerie ou un musée — par exemple, le creusement et le remplissage d’un trou dans Central Park, comme le prescrit Oldenburg ? Si ce sont des œuvre d’art, alors toutes les pierres des routes, tous les objets et événements, sont-ils des œuvres d’art ? Sinon, qu’est-ce qui distingue ce qui est une œuvre d’art de ce qui n’en est pas une ? Qu’un artiste l’appelle œuvre d’art ? Que ce soit exposé dans un musée ou une galerie ? Aucun de ces réponses n’emporte la conviction.

Je le remarquais au commencement de ce chapitre, une partie de l’embarras provient de ce qu’on pose une fausse question — on n’arrive pas à reconnaître qu’une chose puisse fonctionner comme œuvre d’art en certains moments et non en d’autres. Pour les cas cruciaux, la véritable question n’est pas « Quels objets sont (de façon permanente) des œuvres d’art ? » mais « Quand un objet fonctionne-t-il  comme œuvre d’art ? » — ou plus brièvement, comme dans mon titre, « Quand y a-t-il art ? »

Nelson Goodman, « Quand y a-t-il art ? », Manière de faire des mondes, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Marie-Dominique Popelard, Paris, Gallimard / Jacqueline Chambon, 1992 (1978), pp. 99-100

pitrerie

décembre 28, 2010

Impossible d’imaginer Dada sans pitreries ; aussi l’origine du mouvement Dada de Berlin, est-elle d’une rafraîchissante absurdité. Le 17 novembre 1918, pendant une messe à la cathédrale de Berlin, Baader se fit remarquer en hurlant «Jésus-Christ, on n’en a rien à faire», a près quoi il fut bien entendu écarté du lieu. Puis loin de laisser reposer l’incident, il le propulsa au contraire dans les sphères du débat public à coup de lettres de lecteur. Dada fut la première manifestation d’une idée qui s’imposera tout particulièrement à Berlin, l’idée que la culture du spectacle n’a absolument rien à voir avec la qualité de ce qui peut éventuellement être représenté, mais qu’elle diffuse massivement ce simple constat : «J’existe, je suis celui qui a de l’importance». Dada a anticipé certains mécanismes qui accompagnent la célébrité aujourd’hui encore. Le fait que la part de non-sens soit de nos jours plus importante que la part de sens transmis c’était le fondement de la réflexion.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 99.