Posts Tagged ‘réflexion’

histoire de l’art est finie

septembre 4, 2012

La formule « l’histoire de l’art est finie », énoncée par Danto, prête à confusion. De même que Hegel n’annonçait pas la mort de l’art, Danto n’envisage aucunement l’extinction à court terme de l’activité créatrice. La fin de l’art — plutôt que la fin de l’histoire de l’art — résulte en quelque sorte de la déflagration provoquée par le pop art, le quel interdit désormais de penser l’histoire de l’art occidental sous l’aspect d’un mouvement continu, évolutif, comme pouvait le laisser croire la modernité artistique. Dès lors que la frontière entre l’art et le non-art est abolie, que seules la théorie philosophique et la réflexion conceptuelle peuvent éventuellement la restaurer, cela veut dire que tout et dorénavant possible sans aucune référence à l’art du passé, et sans qu’il soit possible de prévoir son avenir.
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005, p. 210.

méta-esthétique

août 20, 2012

L’esthétique philosophique du XVIIIe siècle poursuit au fond un projet différent de celui de la théorie spéculative de l’Art. Or, c’est dans l’œuvre kantienne qu’elle manifeste le plus clairement sa spécificité : elle se veut avant tout une réflexion méta-esthétique, et plus précisément une enquête sur le statut et la légitimité du jugement de goût. Il ne s’agit pas là d’un trait qui serait propose à Kant : A. Baeumler a montré que la notion essentielle de l’esthétique du XVIIIe siècle est la notion de goût* ; or, cette notion, qui disparaîtra dans la théorie spéculative de l’Art, se réfère pour l’essentiel à une activité judicatrice. Chez Kant cette problématique mène d’ailleurs à l’idée d’un sujet spécifiquement esthétique**. Son esthétique n’est donc pas une théorie de l’art mais une anthropologie de l’expérience esthétique et une analyse transcendantale du jugement qui traduit cette expérience dans le domaine discursif.
Jean-Marie Schaeffer, L’art de l’âge moderne, Gallimard, Paris, 1992, pp. 27-38.
* Alfred Baeumler, Das Irrationalitätsproblem in der Ästhetik und logik des 18. Jahrhunderts (1923), Reprint Max Niemeyer Verglag, 1967.
** Voir ibid., p. 2.

histoire de l’art

août 17, 2012

La fondation de nouvelle discipline constitue, au XVIIIe siècle, un événement majeur dans l’histoire de la pensée occidentale. Non seulement elle contribue à cette unification du savoir laquelle aspirait Descartes au siècle précédent, mais elle permet de distinguer entre divers domaines jusque-là indistincts et que l’on confond parfois aujourd’hui encore. Ce qui signifie, pour le dire simplement, que toutes les disciplines qui s’intéressent à l’art, aux œuvres, aux artistes ou aux beaux-arts ne relèvent pas de l’esthétique au sens désormais admis même si ces domaines lui sont apparentés. Ainsi l’histoire de l’art, elle aussi naissante au XVIIIe siècle, grâce notamment à l’ouvrage de l’archéologue Johann Joachim Winkelmann Histoire de l’art antique (1763), dispose-t-elle d’une méthode et d’un objet conformes à sa visée : comprendre les œuvres, les écoles et les styles dans le temps et le lieu où ils apparaissent. Quant à la théorie de l’art — si l’on entend par là la réflexion que certain artistes ont appliquée soit à leur propre pratique, soit aux arts de leur époque, qu’il s’agisse de la Poétique d’Aristote, du Traité de la peinture de Léonard de Vinci ou de l’Art poétique de Boileau, elle ne saurait se confondre avec l’entreprise de conceptualisation tentée par l’esthétique.
Marc Jimenez, Qu’est-ce que l’esthétique, Gallimard, Paris, 1997, p. 21.

être

juillet 20, 2012

Ce double mouvement propre du cogito moderne explique pourquoi le « Je pense » n’y conduit pas à l’évidence du « Je suis » ; aussitôt, en effet, que le « Je pense » s’est ontré engagé dans toute une épaisseur où il est quasi présent, qu’il anime mais sur le mode ambigu d’une veille sommeillante, il n’est plus possible d’en faire suivre l’affirmations que « Je suis » : puis-je dire, en effet, que je suis ce langage que je parle et ou ma pensée se glisse au point de trouver en lui le système de toutes ses possibilités propres, mais qui n’existe pourtant que dans la lourdeur de sédimentations qu’elle ne sera jamais capable d’actualiser entièrement ? Puis-je dire que je suis ce travail que je fais de mes mains, mais qui m’échappe non seulement lorsque je l’ai fini, mais avant même que je l’aie entamé ? Puis-je dire que je suis cette vie que je sens que fond de moi, mais qui m’enveloppe à la fois par le temps formidable qu’elle pousse avec soi et qui me juche un instant sur sa crête, mais aussi par le temps imminent qui me prescrit ma mort ? Je peux dire aussi bien que je suis et que je ne suis pas tout cela ; le cogito ne conduit pas à une affirmation d’être, mais il ouvre justement sur toute une série d’interrogations où il est question de l’être : que faut-il que je sois, moi qui pense et qui suis ma pensée, pour que je sois ce que je ne pense pas, pour que ma pensée soit ce que je ne suis pas ? Qu’est-ce donc que cet être qui scintille et pour ainsi dire clignote dans l’ouverture du cogito mais n’est pas donné souverainement en lui et par lui ? Quel est donc le rapport et la difficile appartenance de l’être et de la pensée ? Qu’est-ce que l’être de l’homme, et comment peut-il se faire que cet être, qu’on pourrait si aisément caractériser par le fait qu’« il a de la pensée » et que peut-être à lui seul il la détient, a un rapport ineffaçable et fondamental à l’impensé ? Une forme de réflexion s’instaure, fort éloignée du cartésianisme et de l’analyse kantienne, où il est question pour la première fois de l’être de l’homme dans cette dimension selon laquelle la pensée s’adresse à l’impensé et s’articule sur lui.

Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, pp. 335-336.

Je m’endors

juillet 17, 2012

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison, mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était pas allumé.

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, tome 1 : Du Côté de chez Swann, Paris, Gallimard, 1946-1947 (1913), p. 11, via wikisource

régime de l’esthétique

juillet 5, 2012

L’art actuel n’est plus assujetti, à l’évidence, au régime du beau platonicien, ni à celui des beaux-arts — au sens classique. On l’a bien compris. Mais qu’il soit en mesure de surprendre, d’irriter, de séduire, d’enthousiasmer, de provoquer, de choquer, d’ennuyer prouve bien qu’il relève toujours du régime de l’esthétique. Toutefois, comme l’a montré la querelle de l’art contemporain, l’élaboration d’une réflexion esthétique, mettant en jour notre faculté de juger, de critiquer, d’évaluer des œuvres ou des actions hors normes, n’est pas chose aisée car se pose inévitablement le problème des frontières, des délimitations, des transgressions : art ou non-art ? Provocation artistique ou charlatanisme ? esthétique ou opération commerciale ?

Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005, pp. 289-290.

vie humaine

juin 6, 2011

A considérer ce que j’ai dit, on pourrait croire qu’à mon sens l’homme ne vit que dans le réel ; or on vit dans l’imaginaire aussi, et dans l’idéal aussi ; de sorte qu’il y a à faire une théorie de l’existence imaginaire et de l’existence idéale. J’ai déjà indiqué, au cours de la discussion, qu’en mettant la perception au centre de la conscience, je n’ai pas prétendu enfermer la conscience dans la constatation d’un donné naturel. J’ai voulu dire que, même quand nos transformons notre vie par la création d’une culture — et la réflexion est une acquisition de cette culture — nous ne supprimons pas nos attaches bien plutôt. Réciproquement, on peut dire que dans une perception humaine complètement explicitée, on trouverait toutes les originalités de la vie humaine.

Maurice Merleau-Ponty, Le primat de la perception, Éditions verdier, Lagrasse, 1996, p. 53.

monstre

mars 3, 2011

Ainsi, Umberto Eco écrit-il qu’« une civilisation démocratique ne se sauvera que si elle fait du langage de l’image une provocation à la réflexion et non une invite à l’hypnose* ». L’art et la volonté d’une réception esthétique et critique des photos sont des moyens de cette réflexion. Mais le chemin est encore long, bien long. Les prisonniers sortent d’autant plus difficilement de la caverne qu’à l’intérieur de celle-ci règnent des gardiens qui maintiennent les enchaînés, aliénés et hypnotisés par les images. Les gardiens ont intérêt à ce que les prisonniers restent victimes du simulacre, comme l’a montré Guy Debord dans La Société du spectacle**.

C’est pour ces raisons que certains photographies prennent leur distance vis-à-vis des agences et du reportage. Trente ans après avoir fondé Gamma, Depardon — tout comme Salgado, Abbas, Burnett, etc. — s’en est retiré : « J’ai fondé Gamma, dit-il, et je me dis que j’ai fabliqué un monstre***. » Marc Pataut avait quitté Viva, parce que les images et les reportages que l’agence engendrait étaient trop traditionnels et trop stéréotypés. L’agence Viva ne cherchait pourtant pas à couvrir l’événement fugace et éphémère, mais à produire des images de situations ou de réalités stables dans le temps.

François Soulages, Esthétique de la photographie, Nathan, Paris, 1998, p. 28.

* Umberto Eco, Television e cultura, Verso una civilta delle visione, Milan, Biompiani, 1961, p. 50.

** Paris, Buchet-Chastel, 1967.

*** Le Monde, op, cit.

février 14, 2011

bonjourtableau:

Le Parlement de Londres au soleil couchant, 1903, Claude Monet.

Visible au Musée d’Orsay

pitrerie

décembre 28, 2010

Impossible d’imaginer Dada sans pitreries ; aussi l’origine du mouvement Dada de Berlin, est-elle d’une rafraîchissante absurdité. Le 17 novembre 1918, pendant une messe à la cathédrale de Berlin, Baader se fit remarquer en hurlant «Jésus-Christ, on n’en a rien à faire», a près quoi il fut bien entendu écarté du lieu. Puis loin de laisser reposer l’incident, il le propulsa au contraire dans les sphères du débat public à coup de lettres de lecteur. Dada fut la première manifestation d’une idée qui s’imposera tout particulièrement à Berlin, l’idée que la culture du spectacle n’a absolument rien à voir avec la qualité de ce qui peut éventuellement être représenté, mais qu’elle diffuse massivement ce simple constat : «J’existe, je suis celui qui a de l’importance». Dada a anticipé certains mécanismes qui accompagnent la célébrité aujourd’hui encore. Le fait que la part de non-sens soit de nos jours plus importante que la part de sens transmis c’était le fondement de la réflexion.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 99.