Posts Tagged ‘spectacle’

foot

août 4, 2012

A pousser le raisonnement à l’extrême, on en viendrait à reconnaître dans un grand match la réalisation du rêve d’« œuvre d’art total », ce fantasme de démiurge ou de tyran. Les hymnes et les chœurs en sont la musique, les maillots et les drapeaux la couleur ; les les courses et les rebonds, la rythmique et le dynamisme ; l’incertitude de la victoire, le ressort dramatique ; le tout dans un stade infiniment plus vaste qu’aucun théâtre et au centre d’une assemblée de dizaines de milliers de suspectateurs présents et de millions d’autres par le truchement de la télévision. Il n’est aucun des beaux-arts qui ne soit sous-entendu dans un tel spectacle : la peinture est dans les étoffes, la sculpture dans les glissades et les esquives. Quand à l’architecture, elle dessine les gradins et répartit les lumières.
Philippe Dagan, L’art impossible, Bernard Grasset, Paris, 2002, p. 52.

Gesamtkunstwerk

juillet 29, 2012

Certes, le terme de Gesamtkunstwerk reste absent du vocabulaire de Schelling, mais il figure en 1827 dans les écrits du philosophe romantique tardif Karl Freidrich Eusebius Trahndorff, par ailleurs complètement oublié, qui semble l’avoir forgé dans son Aesthetik oder Lehre der Weltanschauung une Kunst afin d’expliquer comment les arts du chant, de la musique, du mime et de la danse peuvent arriver à confluer dans un seul et même spectacle. Cela tient, d’après lui, à la « tendance, commune à tout le domaine artistique, qui conduit de chacun des arts vers une œuvre d’art totale »*

Glenn W. Most, « Nietzsche, Wagner et la nostalgie de l’œuvre d’art totale », Trad. de l’anglais par Jeanne Bouniort, in L’œuvre d’art totale, Paris, Musée du Louvre / Gallimard, 2003, p. 23.

* Karl Freidrich Eusebius Trahndorff, Aesthetik oder Lehre der Weltanschauung une Kunst, Berlin, 1827, t. II, p. 312. Voir A. R. Neumann « The Earliest Use of the Term Gesamtkunstwerk », Philological Quarterly, n° 35, 1956, p. 191-193.

zapping

mars 3, 2012

Le paradigme de ce nouveau rapport à de nouveaux objets qui ne sont plus des œuvres, c’est le zapping. Par le zapping, le spectateur « déprogramme » les propositions et bricole lui-même son menu, il échappe aux contraintes de la grille ou du fil du récit ; il commence, même de manière rudimentaire, à composer sa propre émission.

Un nouveau régime de l’attention se met aussi en place, qui privilégie le balayage rapide (scannage) sur la lecture et sur le déchiffrement des significations. L’image se fait plus fluide, plus mobile, elle est moins spectacle ou donnée qu’élément pragmatique, élément d’une chaîne d’actions ; elle perd sa valeur de référence pour s’inscrire dans une suite de métamorphoses à la demande.

Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, Paris, Quadrige / PUF, 1997, p. 67.

interpassivité

avril 30, 2011

Cela nous ramène à mon titre, à savoir l’étrange phénomène de l’interpassivité* : l’envers nécessaire de mon interaction avec l’objet n’est-il pas cette situation où l’objet lui-même s’approprie ma propre réaction passive de satisfaction (ou d’ennui ou de rire), m’en prive, de sorte que c’est l’objet lui-même qui prend plaisir au spectacle à ma place, me soulageant du devoir « surmoïque » de m’amuser…? De nos jours, selon les récents enquêtes américaines, même la pornographie fonctionne de plus en plus de façon interpassive. Les films classés X ne sont plus, avant tout, des moyens destinés à exciter l’utilisateur dans son activité solitaire de masturbation. Le simple fait de regarder l’écran sur lequel a lieu l’action est suffisant, c’est-à-dire qu’observer ommment les autres prennent du plaisir à ma place suffit à ma satisfaction.

Slavoj Zizek, La subjectivité à venir, Climats, 2004, traduction de l’anglais de François Théron, p. 29.

* Je m’appuie ici sur la contribution de mon ami Robert Pfaller, jeune philosophe autrichien, au congrès Die Dinge lachen en unsere stelle, Linz (Autriche), 8-10 octobre 1996.

pitrerie

décembre 28, 2010

Impossible d’imaginer Dada sans pitreries ; aussi l’origine du mouvement Dada de Berlin, est-elle d’une rafraîchissante absurdité. Le 17 novembre 1918, pendant une messe à la cathédrale de Berlin, Baader se fit remarquer en hurlant «Jésus-Christ, on n’en a rien à faire», a près quoi il fut bien entendu écarté du lieu. Puis loin de laisser reposer l’incident, il le propulsa au contraire dans les sphères du débat public à coup de lettres de lecteur. Dada fut la première manifestation d’une idée qui s’imposera tout particulièrement à Berlin, l’idée que la culture du spectacle n’a absolument rien à voir avec la qualité de ce qui peut éventuellement être représenté, mais qu’elle diffuse massivement ce simple constat : «J’existe, je suis celui qui a de l’importance». Dada a anticipé certains mécanismes qui accompagnent la célébrité aujourd’hui encore. Le fait que la part de non-sens soit de nos jours plus importante que la part de sens transmis c’était le fondement de la réflexion.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 99.

mort mutilé

décembre 1, 2010

De la vie de millions d’êtres humains, seul subsiste le spectacle réducteur de leur humiliation ou de leurs dépouilles. Qui est le mort mutilé, le purifié ethnique, le réfugié affamé? Orchestré par le bruit des médias, le silence de l’Histoire ensevelit la vit des victimes dans l’anonymat des chiffres. Comme s’il existait des lois de l’Histoire plus fortes que l’homme qui construit son histoire!

Au crime de masse correspond une vision de masse ; au crime industriel correspondent une fabrication et une consommation industrielles des images. Sous une apparente neutralité s’exerce une réelle violence.

Loin, loin de toi se déroule l’histoire mondiale de ton âme”, avertissait encore Kafka. Et l’écrivain Danilo Kis d’ajouter, quelques années et un génocide plus tard : “Que signifient six millions de morts, si on ne voit pas un seul et unique individu avec son visage, son corps, son âge et son histoire personnelle?” 

Fabienne Rousso-Lenoir, Choisir entre le regard du vivant ou la pétrification du voyeur, Regard et responsabilité, Image et politique, Colloque sous la présidence Paul Virilio, Actes sud/AFAA, 2007, p. 62.

corps photographié

novembre 9, 2010

La photographie ne peut pas faire comme si tout cela n’était pas. Mais attention : un corps photographié peut en cacher mille autres, la photographie peut être une image-écran : où sont les photo des milliers de corps morts lors de la guerre du Golfe? Se substituèrent à elles les images des bombardements qui auraient plu aux futuristes. Où sont les photos des millions des corps morts lors de la famine sous Mao? Se substituèrent à elles les discours de propagande producteurs d’autre types d’images, mais toujours d’idéologie non critique. Corps montré/corps caché, la dialectique est fine et complexe : la vigilance critique est de rigueur, dans leur réception et dans leur interprétation. Regarder en boucle l’attaque par les deux avions des Twin Towers peut participer quelque part à cette esthétisation passive, non-critique et déréalisante, d’autant plus que, sur les images, des corps sautent comme s’ils pouvaient en réchapper, d’autant plus qu’aucune image des corps morts n’a été par la suite communiquée. «The show must go on» : le spectacle continue ; une page de publicité…

François Soulages, Politiques de la photographie du corps, Klincksieck, 2007, p. 20.

prison d’Abou Ghraib

novembre 9, 2010

Les photo faites par des militaires américains de prisonniers humiliés et torturés dans la prison d’Abou Ghraib ont choqué le monde entier. Pour quelle raison? Et quelles conséquences peut-on en tirer?

Ces photos révélaient non seulement que cette armée utilisait la torture en Irak, mais surtout que, dans certains cas, des soldats la mettaient en scène, en spectacle et en image. Était-ce nouveau? Dans un certain sens, non, car la torture existe depuis des millénaires. Dans un autre sens, oui, car, non seulement la torture était photographiée par ses acteurs, mais surtout, pour la première fois, de telles photos étaient diffusées par le Net et sur le Net ; ce dernier point est important ; éclairons-le.

La nouveauté de ces photos est triple. Premièrement, ce sont des photos qui se donnent au départ comme preuve de la torture, non pour la dénoncer, mais pour en rire et en-faire rire les amis du tortionnaire photographie ; ces photos fonctionnent selon la logique barthésienne du «ça a été», voire peut-être du «ça a été joué»* : la question soulevée par le New York Times du 11 mars 2006 du vrai-faux prisonnier d’Abou Ghraib, Ali Shalal Qaissi, en est un signe : peut-on être sûr de la véracité totale du témoignage produit par ces photo? Ce n’est pas tant la réponse à cette question qui importe que l’existence même de cette question, de ce doute, de ce soupçon. Deuxièmement, c’est via et sur le Net à des fin privées que ces photos circulaient. Troisièmement, c’est ainsi que ces photos furent connues publiquement : par un effet possible d’Internet, ces images changeaient de statut, glissaient du terrain privé au terrain public et politique.

François Soulages, Politiques de la photographie du corps, Klincksieck, 2007, p. 9-10.

*François Soulages, Esthétique de la photographie, Paris, Armand Colin, 4e éd., 2005.

spectacle

novembre 9, 2010

Comme nous l’avons déjà dit, Debord n’entrevoit aucune véritable opposition et se méfie de tout ce qui y prétend. Si le spectacle falsifie tout, il falsifie aussi critique sociale, allant même jusqu’à encourager l’élaboration d’une «critique sociale d’élevage»* enfournissant à ceux qui ne se contenteraient pas des explications habituelles des informations réservées auxquelles il manquera toujours l’essentiel. Et ce n’est pas tout : le spectacle vise à ce «que les agents secrets deviennent des révolutionnaires et que les révolutionnaire deviennent des agents secrets»**. «De sorte que personne ne peut dire qu’il n’est pas leurré ou manipulé»***. Un tel système a toutes les raisons de se défendre, car il est «d’une perfection fragile»**** et n’est plus réformable, même pas dans ses détails*****. Désormais, le principal ennemi du spectacle c’est le spectacle lui-même : ses fractions en lutte mettent en circulation une masse d’information fausses ou invérifiables qui rendent très difficiles les calculs, même aux sommets dirigeants de la société.

Abselm Jappe, Guy Debord, Denoël, Paris, 2001, p. 110.

*-***** Guy Debord, Commentaires sur société du spectacle, Gallimard, 1976 (101, 19, 111, 36, 107)