Posts Tagged ‘victime’

irreprésentable

juillet 3, 2012

Gilles Peress (1946) expose des photographies grand format montrant l’atrocité des épurations et des génocides comme en Bosnie et au Rwanda. Il privilégie les gros plan et les images nettes visant à accroître la dureté des scènes captées. C’est un choix esthétique. Quels que soient le bien fondé de sa dénonciation et l’authenticité de sa révolte, on peut lui préférer la posture de l’artiste chilien Alfredo Jarr (1956). Celui-ci refuse l’exhibition et la monstration brutale. Il expose 550 boîtes en carton, closes, recelant chacune une photographie de victimes de guerre. L’horreur est bien là, mais cachée. Pour y accéder, il faut lire sur le couvercle la description du cliché. Ni documentaire ni reportage, le travail de Jarr constitue une redoutable dénonciation de l’exploitation des images médiatiques, de celles qui saturent, parfois jusqu’à la nausée, les informations télévisées et internet. Le pouvoir des mots ne serait-il pas parfois aussi corrosif que le choc des photos, dès lors qu’il s’agit de l’irreprésentable ?

Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain, Gallimard, Paris, 2005, p. 293.

janvier 21, 2011

Aileen Mioko Smith co-authored with  W. Eugene Smith, Series « Minamata », Tomoko Uemura victime d’un empoisonnement au mercure, 1971, via www.ethicsingraphicdesign.org

La nuit

décembre 28, 2010

Juste après-guerre, Max Beckmann sondait déjà la réalité avec des mises en scène choquantes comme par exemple dans La nuit de 1919. La nuit jette regard impitoyable dans une pièce saisie par l’horreur. On distingue un groupe d’hommes, dans lequel chacun torture son prochain les membres des corps sont contorsionnés et les traits du visage déraillent, mais ce qui est véritablement troublant, c’est la tranquille normalité dans laquelle s’inscrivent ces sinistres agissements. L’homme au centre de la peinture porte un bandage à la tête et s’emploie en même temps à tordre le bras d’une pauvre créature dont la bouche grande ouverte laisse échapper un cri ; mais cet homme au centre, qui cumule les fonctions de victime et de tortionnaire, montre encore un troisième facette car il fume sa pipe avec une délectation extrême. C’est comme si cette «nuit» pouvait se reproduire toutes les nuits.

Rainer Metzger, Berlin les années vingt, Hazan, 2006, p. 110-111.

supplice

décembre 11, 2010

Je me suis fait dire qu’afin de prolonger le supplice, le condamné recevait une dose d’opium. Dumas insiste sur l’apparence extatique des traits de la victime. Il est bien entendu, je l’ajoute, qu’un indéniable apparence, sans doute, en partie du moins, liée à l’opium, ajoute à ce qu’a d’angoissant l’image photographique. Je possède, depuis 1925 un de ces clichés. Il m’a été donné par le Docteur Borel, l’un des premiers psychanalyste français. Ce cliché eut un rôle décisif dans ma vie. Je n’ai pas cessé d’être obsédé par cette image de la douleur, à la fois extatique (?) et intolérable. J’imagine le parti que, sans assister au supplice réel, dont il rêva, mais qui lui fut inaccessible, le marquis de Sade aurait tiré de son image : cette image, d’une manière ou de l’autre, il l’eût incessamment devant les yeux. Mais Sade aurait voulu le voir dans la solitude, au moins dans la solitude relative, sans laquelle l’issue extatique et voluptueuse est inconcevable.

Georges Bataille, Les larmes d’éros, Jean-Jacques Pauvert, 1961, 1971, p. 121.

mort mutilé

décembre 1, 2010

De la vie de millions d’êtres humains, seul subsiste le spectacle réducteur de leur humiliation ou de leurs dépouilles. Qui est le mort mutilé, le purifié ethnique, le réfugié affamé? Orchestré par le bruit des médias, le silence de l’Histoire ensevelit la vit des victimes dans l’anonymat des chiffres. Comme s’il existait des lois de l’Histoire plus fortes que l’homme qui construit son histoire!

Au crime de masse correspond une vision de masse ; au crime industriel correspondent une fabrication et une consommation industrielles des images. Sous une apparente neutralité s’exerce une réelle violence.

Loin, loin de toi se déroule l’histoire mondiale de ton âme”, avertissait encore Kafka. Et l’écrivain Danilo Kis d’ajouter, quelques années et un génocide plus tard : “Que signifient six millions de morts, si on ne voit pas un seul et unique individu avec son visage, son corps, son âge et son histoire personnelle?” 

Fabienne Rousso-Lenoir, Choisir entre le regard du vivant ou la pétrification du voyeur, Regard et responsabilité, Image et politique, Colloque sous la présidence Paul Virilio, Actes sud/AFAA, 2007, p. 62.

exproprier

novembre 20, 2010

Des médecins, français, se félicitent de cette situation, quand ils ne la provoquent pas, ou ne l’aggravent pas à des fins de “recherche”, comme ils disent. Car cette situation leur permet de mener des enquêtes ayant pour objet les effets de la malnutrition sur des organismes scientifiques… Un homme, d’abord témoin et victime de cet enfer, va décider de résister, de ce battre. Il s’appelle Antonin Artaud. Son transfert à l’asile de Rodez est un des épisodes de cette résistance. Mais l’arme d’Artaud, c’est d’abord celle de son écriture. Artaud avait été dépossédé de son pouvoir d’écriture et c’est par la reconquête de celle-ci qu’il sait pouvoir rentrer en possession de son corps, de sa mémoire, de sa pensée, dont il avait été cruellement dépossédé. Le suicidé de la société, qu’il soit Van Gogh, Nerval, Hölderlin, Villon, Baudelaire, Rimbaud, Poe, Nietzsche ou lui, Artaud, est un homme qu’on a tenté d’exproprier de son corps, dont on a voulu araser la mémoire, détruite en lui les forces de son esprit.

Jacques Henric, Ne laissons pas les morts enterer les vivantsImage et politique, Colloque sous la présidence Paul Virilio, Actes sud/AFAA, 2007, p. 154.

distance

novembre 19, 2010

L’aspect le plus frappant de l’œuvre d’Arbus est qu’elle semble s’être engagée dans un des entreprises photographies les plus fortes qui soient – s’intéressant essentiellement aux victimes, aux malchanceux – mais sans viser à la compassion que l’on s’attend à trouver comme but de ce genre d’entreprise. Son œuvre montre des gens pathétiques, pitoyables autant que repoussants, mais elles ne suscite aucun sentiment de compassion. Là où il serait plus exact de parler de dissociation du point de vue, c’est pour leur honnêteté et leur façon de coller sans sentimentalisme à leur modèle que ces photos ont été louées. Ce qui est en réalité leur agressivité à l’égard du public a été traité comme un triomphe moral : l’impossibilité pour qui les regards de prendre ses distances avec leur sujet.

Susan Sontag, Sur la photographie, Christian Bourgois éditeur, traduit de l’anglais par Philippe Blanchard en collaboration de l’auteur, p. 50. 1993, Straus and Giroux, 1973.

novembre 10, 2010

Hocine Zaourar, La Madone algérienne, l’hôpital Zmirli, Algérie, 1997, via ICONES